Riche d'un patrimoine architectural remarquable - du palais des Etats aux hôtels particuliers des XVIIe et XVIIIe siècles - la ville de Dijon a malheureusement perdu un monument insigne : le château royal, voulu par Louis XI, qui marquait le flanc nord-ouest de son enceinte médiévale, à proximité de la Porte Guillaume. Il comprenait quatre tours massives reliées par des courtines sur fossés, des boulevards et des porteries à pont-levis. Cette imposante forteresse constituait un monument d'exception, témoignant de la mutation entre les fortifications traditionnelles du Moyen-Age et celles résolument plus modernes de la Renaissance, où les pièces d'artillerie tenaient un rôle de premier plan. Monument mal aimé des Dijonnais qui l'avaient financé et le voyaient comme symbole de la soumission bourguignonne au royaume de France, d'un entretien coûteux et malcommode d'utilisation, le château a été détruit par morceaux au XIXe siècle.
Restituer la mémoire de la ville
Après celle de 1989, qui présentait l’état des connaissances acquises sur cette forteresse, cette nouvelle exposition s’intéresse plus particulièrement à l'aspect humain des occupants du château, des femmes et des hommes qui y ont vécu, comme soldat ou comme prisonnier.. Malgré la réaction de quelques érudits qui avaient obtenu sa protection au titre des monuments historiques, ses restes imposants ont été rasés entre 1891 et 1897. On l'aura compris, c'est une perte immense pour la mémoire de notre ville que cette exposition cherche à restituer, rassemblant pour la première fois une iconographie riche d'une centaine de documents originaux issus de plusieurs fonds patrimoniaux (archives, bibliothèques et musées). Mais la parole est également donnée aux techniques modernes de communication de manière à toucher un large public : film de reconstitution en 3D et bornes interactives seront à disposition pour des consultations dynamiques de ce patrimoine, hélas, disparu.
Une impressionnante forteresse
Suite à la mort en 1477 du dernier duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, le roi de France Louis XI intégra au royaume de France le duché de Bourgogne. Face aux nombreuses révoltes bourguignonnes, Louis XI ordonna la construction, à Dijon, d'un château à partir de juin 1478. Celui-ci fut bâti près de la porte Guillaume, à l’emplacement actuel de la Poste, place Grangier. Dès le début, les Dijonnais haïrent le château : ils durent payer la construction de cet édifice qui symbolisait la perte de l’indépendance bourguignonne. Le château formait un quadrilatère irrégulier pourvu de quatre tours : les tours Saint-Bénigne, Notre-Dame, Guillaume et Saint-Martin. A cela s’ajoutaient deux « boulevards » (ouvrages en forme de fer à cheval, à vocation défensive), un du côté de la ville et l'autre, à l'extérieur de l'enceinte. Dans la cour intérieure, se trouvaient des bâtiments pour le logement des militaires de la forteresse, des magasins (remises) et une chapelle.
Des habitants de toutes sortes
Depuis le XVe siècle, des soldats étaient en charge de la garde et de la défense du château. Leur effectif atteignit jusqu’à 300 hommes, nécessitant de les loger hors du château. Logés dans les casernes au sein du château, les soldats partageaient leur chambre à plusieurs. Chacune comportait : des lits (de 1,90m sur 1,30m), une table avec bancs et une cheminée, élément de chauffage indispensabl pour affronter les hivers rigoureux de la Bourgogne. A l’instar de la Bastille à Paris, le château de Dijon servit de prison d’Etat. Parmi ses détenus célèbres figurent le comte de Mirabeau (du 21 mars au 25 mai 1776) et le chevalier d’Eon (en mars-avril 1779). Au moment de la Terreur, en 1793-1794, le château devint une fourmilière de prisonniers avec plus de 550 hommes enfermés ! De l’automne 1795 à 1894, le château accueillit la Gendamerie nationale.
Un siècle d’agonie
La destruction du château de Dijon débuta à l’été 1792 lorsque l’on mura la porte de secours et que l’on mit à bas le pont qui en partait vers le nord-est. Sous le Premier Empire, on démolit la chapelle et on rasa le boulevard de la ville. Propriétaire des fossés en 1861, la municipalité dijonnaise s’empressa de les remblayer. Pendant l’occupation prussienne en 1871, la ville fit raser partiellement trois tours, la tour Guillaume étant épargnée, et démolir la porte de secours avant que la préfecture n’arrête le massacre. C’est alors qu’une poignée de passionnés, Charles Suisse en tête, cherchèrent à sauver les restes de l’édifice. Mais la municipalité obtint en 1887 que le site soit déclassé et commença la démolition finale le 24 janvier 1891. Le dernier élément rasé fut la porte d’entrée, au printemps 1897. Les vestiges actuels du château de Louis XI sont tous souterrains et quasiment inaccessibles. Ils se comptent sur les doigts d’une main : le puits principal, la base de la tour Saint-Bénigne, la partie ouest de la galerie d’escarpe, la galerie d’escarpe (ou contremine) du boulevard Louis XII, deux puisards (petits puits servant de déversoir pour toutes sortes de liquides). De la grandeur d'un château royal qui a marqué de son empreinte la topographie de la ville, bien peu nous est parvenu. Pour ressentir la puissance de ce type d'architecture il faut encourager la découverte des vestiges des fortifications de Beaune (tour Charles VIII) et du château d'Auxonne, deux des trois « sœurs de Bourgogne ».
PUBLICATION
Estelle Jeangrand Le château de Dijon, de la forteresse royale au château des gendarmes , 300 p. , ill. Coul et NB. Editions du Murmure et Editions d'Armançon En vente au musée 30 €
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