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N° 485 - du 28 septembre 2017 au 4 octobre 2017


Carl Strathmann, Marie, 1897, huile sur toile, Weimar, Kunstsammlung (exposition Secessioni au Palazzo Roverella, Rovigo).

L'AIR DU TEMPS

Ce que sécession veut dire

Le cinéma et la peinture nous fournissent parfois d’intéressantes correspondances pour décrypter l’actualité internationale. Ainsi, les gesticulations périlleuses de Trump et du dictateur nord-coréen nous font immanquablement revenir en mémoire les images du Docteur Folamour de Stanley Kubrick, où les apprentis sorciers se font dépasser par leurs jouets atomiques. La situation en Espagne, où les tentations séparatistes de la Catalogue donnent lieu le 1er octobre à un référendum (considéré comme illégal par le gouvernement espagnol), c’est le terme de sécession qui invite à la réflexion. Si, en histoire, il qualifie surtout le conflit américain de 1861-65 (voire celui du Biafra, un siècle plus tard, pour les plus érudits), il a aussi son équivalent en histoire de l’art : la Sécession viennoise de 1897 voulait rompre avec l’académisme, les conventions et les salons. Comme le rappelle une exposition rétrospective à Rovigo, en Italie, le terme connut une véritable vogue et donna lieu à plusieurs autres déclinaisons européennes - à Berlin de manière encore plus précoce (1892), à Prague ou à Rome. C’était au fond une rupture sans conséquence car rien n’interdisait aux artistes révoltés - Klimt, von Stuck ou Klinger - de revenir plus tard au bercail de l’art officiel. Rien de semblable dans le processus politique, où le « rewind » est impossible. Les tensions y sont exacerbées : ceux qui partent veulent recouvrer une liberté qu’ils estiment brimée, ceux qui restent s’estiment d’autant plus trahis qu’ils savent tout retour en arrière impossible. Les avant-gardes picturales ont artificiellement adouci l’aspérité du terme. Il reste très fort…
Secessioni europee au Palazzo Roverella, à Rovigo, du 23 septembre 2017 au 21 janvier 2018.

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EXPOSITIONS


Jean Rouch, Camion de transport, Ghana, 1954. Photographie. BnF, département des Manuscrits © Jocelyne Rouch

La leçon de Jean Rouch

PARIS - Un ingénieur qui fait sauter des ponts et qui laisse des images mémorables de Berlin en 1945 ? Un explorateur qui descend le Niger en pirogue, qui fait ensuite 180 films en inventant au passage le cinéma-vérité ? Un ethnologue qui pénètre certains des rites de possession les plus secrets d’Afrique mais qui décrypte aussi les tribus de Saint-Germain-des-Prés ? Jean Rouch (1917-2004) est tout cela. Pour le centenaire de sa naissance, cette exposition dans les immenses coursives de la Bibliothèque nationale de France vaut par les pièces qu’elle présente (des panneaux biographiques, des extraits de films, quelques cahiers d’exploration ou scénarios manuscrits, sa première caméra Bell&Hovell ou l’étonnant sgubbitophone, pour cueillir les sons au vif) que par le personnage qu’elle ressuscite. Abreuvé au surréalisme et au cinéma naissant (Nanouk de Flaherty, le premier film qu’il vit, fut une illumination), Jean Rouch démontre pendant près de huit décennies une activité inépuisable. Monté sur batteries, la caméra comme appendice naturel, il immortalise la chasse à l’hippopotame, l’immense marché de Koumassi à Accra, son amitié avec Joris Ivens, Manoel de Oliveira ou Raymond Depardon. Dans ses voyages lointains ou proches, il montre surtout une qualité rare, la curiosité, une empathie permanente et une subjectivité rafraîchissante. Face à l’accélération de nos modes de vie, il aimait rappeler que le chemin vers l’autre ne se fait pas en avion, en voiture ou en bateau, mais à pied.
Jean Rouch, l’homme-cinéma à la Bibliothèque nationale de France, du 26 septembre au 26 novembre 2017. Le catalogue Jean Rouch, l’homme-cinéma, sous la direction de Béatrice de Pastre (Somogy/BnF, 254 p., 29 €), passe en revue ses 180 films.

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AILLEURS EN EUROPE

BÂLE - Des expositions ont traité des rapports de Paul Klee à la musique, au Bauhaus, au voyage en Tunisie, voire à l’ironie (récemment au Centre Pompidou). De façon curieuse, les liens évidents entre Klee et l’art abstrait ont été assez peu étudiés. La Fondation Beyeler, qui possède une vingtaine d’œuvres de l’artiste, s’y emploie. • Du 1er octobre 2017 au 21 janvier 2018

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Dans la maison close, vers 1900. Coll. part. © Josep Casanova

BARCELONE - Ramon Pichot (1871-1925) fut un ami et contemporain de Picasso. Comme lui, il partit chercher fortune à Paris, où il finit d’ailleurs sa vie. Le MNAC montre un peintre passionné par la société, grand coloriste, compagnon des fauves (il était au fameux Salon de 1905 qui fit scandale), qui n’est pas aujourd’hui reconnu à sa juste valeur. • Du 29 septembre 2017 au 21 janvier 2018.

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LONDRES - Jasper Johns (né en 1930) est l’un des derniers monstres sacrés du Pop Artencore vivant. La Royal Academy consacre au spécialiste des drapeaux et des cibles une rétrospective de près de 150 œuvres. • Du 23 septembre au 10 décembre 2017.

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STRASBOURG - Strasbourg 1880-1930 : à la première date, la ville est fraîchement allemande, à la seconde, elle est française depuis une décennie. Si ce demi-siècle a été un moment de bouleversements, il a aussi nourri la créativité des artistes et des urbanistes. Une série d’expositions explorent différentes thématiques. • Du 24 septembre 2017 au 25 février 2018.

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TOULOUSE - Medellín était autrefois un nom qui faisait froid dans le dos. L’ancienne capitale du cartel d’Escobar a mené en deux décennies une impressionnante rénovation urbaine (métro, téléphérique, musées, parcs, bibliothèques), qui a aussi revitalisé sa scène artistique. Dans le cadre de l’année de la Colombie en France, le musée des Abattoirs étudie cet intéressant cas de figure... • Du 29 septembre 2017 au 21 janvier 2018.

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L'ARTISTE DE LA SEMAINE


Ephèse 3, 2017, grattage sur impression numérique, 20x30 cm. Courtesy galerie Claudine Papillon.

Raphaëlle Peria, la photo à mains nues

Comment combiner la véracité clinique d’une photographie avec le travail de l’artisan manuel ? Comment faire frissonner les feuilles d’un olivier anatolien sur une reproduction laser ? C’est le défi que relève la jeune Raphaëlle Peria (née en 1989) dans Marinus Asiaticus. Armée d’une gouge, elle creuse la photo reproduite sur un support solide. En élaguant l’arbre, par petites incisions, elle crée un autre feuillage ; elle invente d’autres sillons dans les champs, d’autres flots dans la cascade, d’autres coulées de neige dans la montagne, tous moins réalistes mais tous plus évocateurs. On pourrait gloser sur la dimension philosophique de l’acte - la perte de matière comme moyen d’arriver à une forme de vérité. On préfère savourer le geste réussi - et l’émotion que procurent ces images où tremblotent quelques barbes fragiles comme de la matière vivante.
• Raphaëlle Peria était exposée jusqu’au 27 septembre 2017 chez Claudine Papillon (13, rue Chapon, 75003).

Le site de la galerie et les œuvres

LES VERNISSAGES DE LA SEMAINE

LIVRES

Le Robert en langue des signes

Que peuvent se dire un lexicographe chevronné et un peintre fasciné par la calligraphie orientale ? Tout simplement se retrouver autour d’une thématique essentielle, qui est celle du langage. Ce que disent les mots écrits, le geste peut aussi l’exprimer. Pour la 50e édition du Petit Robert, son créateur Alain Rey a travaillé de concert avec Fabienne Verdier, qui s’est formée auprès de grands maîtres chinois du pinceau. Ensemble, ils ont sélectionné quelques couples de mots essentiels, qui enserrent des concepts dont peuvent découler beaucoup d’autres. Arborescence-Allégorie, Labyrinthe-Liberté ou Rythme-Reflet donnent lieu à une réflexion écrite savante (Rey) et à des signes qui les résument (Verdier). Ce processus spéculaire et analogique est stimulant. Mais force est de constater qu’il est éminemment complexe. On aurait aimé quelques baisses de régime - avec Facilité-Fluidité ou Simplicité-Souplesse - pour mieux nous guider…
Polyphonies, par Alain Rey et Fabienne Verdier, Albin Michel/Le Robert 2017, 217 p., 59 €.

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