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EN DIRECT DE LA 54e BIENNALE DE VENISE

Dépêche 3 : Les jardins de l’art

 

La Biennale de Venise est ouverte : les critiques, les journalistes et les collectionneurs du monde entier sont descendus sur la lagune pour découvrir les dernières tendances dans l'art contemporain.

La présence américaine à la Biennale, comme c'est trop souvent son cas sur la scène mondiale, ne pèche pas par excès de légèreté. Selon sa commissaire, Lisa Freiman, "le thème principal du projet consiste à considérer le pavillon américain comme un lieu de concurrence internationale" (New York Times en ligne, 16 mars 2011). Les artistes, Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla, ont créé six œuvres pour attirer l’attention sur la manière dont la Biennale est elle-même imbriquée dans la concurrence internationale - non seulement culturelle, mais aussi militaire, sportive et économique. Mais ce débat, comme nous l'avons suggéré dans notre première dépêche, est en grande partie théorique, de nombreux pavillons nationaux accueillant aujourd'hui des artistes d'autres pays, et beaucoup d'autres nations s’engageant dans la coopération culturelle, ce qui fait que la pavillon des Etats-Unis apparaît déconnecté de la réalité. Le bruit assourdissant et de mauvais augure d'un tank de la guerre de Corée, ici transformé en un tapis roulant fonctionnant sur l’énergie créée par un athlète, peut être entendu presque partout dans les Giardini. Que les Etats-Unis essaient d'imposer le bruit d’armes de guerre lors de tout rassemblement de nations est, dans l'esprit des auteurs de cette chronique, extrêmement regrettable. Sans doute une idée intéressante sur le plan conceptuel mais oppressive dans la réalité.

Fia Backström, Bastard Frontiers (Suède), photo numérique sur métal, 2011. Photo Marjorie Och.

Un artiste qui a sollicité la coopération tout en se concentrant sur l'identité nationale est Fia Backström. Le projet de cette artiste suédoise basée à New York a consisté à persuader d'autres artistes de la laisser installer des reproductions de photos de sculptures nationales à proximité de leurs pavillons. Chacune avait un enregistrement sonore, déclenché par un système à infra-rouge, de «producteurs culturels» parlant des stéréotypes de leur culture nationale - soleil et antiquités pour la Grèce, IKEA et porno soft pour la Suède, et ainsi de suite. Tous les artistes ne se sont pas montrés coopératifs - le représentant de la Serbie, Raaa Todosijevic, trouvant que Backström était allée trop loin en demandant à partager son espace, mais la plupart des autres s’en sont apparemment contenté.

Sigalit Landau, Pont de sel au-dessus de la mer Morte, photo, dessin, 2011. Photo Marjorie Och.

L’une d’entre eux était Sigalit Landau, qui a non seulement invité Backström à installer une œuvre devant le pavillon israélien mais en a aussi radicalement réorganisé l’espace intérieur, en faisant même un grand trou dans un mur pour accueillir un réseau complexe de tuyaux d’eau douce et salée. Ceux-ci agissent à la fois comme une métaphore du système circulatoire humain et renforcent l’idée de Landau de considérer la mer Morte comme un possible point de coopération entre Israël et ses voisins. Une image particulièrement poétique (et un possible futur projet) est la vision de Landau d’un pont de sel reliant la Jordanie et Israël à travers la mer Morte. Comme la petite fille de sa vidéo nouant les lacets des adultes assis autour d’une table de négociation, Landau est un peu espiègle mais doit être écoutée lorsqu’elle demande la prise en compte urgente des problèmes d’eau dans la région.

Christian Boltanski, Be New, vidéo, 2011. Photo Marjorie Och.

L’installation de Christian Boltanski dans le pavillon français, avec des centaines de visages sur de longs rouleaux traversant la pièce, a évoqué à Preston un mélange

L’installation de Christian Boltanski dans le pavillon français, avec des centaines de visages sur de longs rouleaux traversant la pièce, a évoqué à Preston un mélange de Claude Lévêque (qui a rempli le pavillon en 2009 avec une structure métallique similaire) et Simon Starling (qui avait créé un dispositif absurde projetant un film sur l’atelier de métal où le dispositif avait été construit). Marjorie a une opinion différente à ce sujet, mettant en avant la machine à sous très raffinée de Boltanski, type « roue de la fortune » de Las Vegas, qui combine les traits du visage de bébés polonais et ceux de citoyens suisses âgés pour créer un million de combinaisons différentes. En appuyant sur un bouton, on « gèle » les images, et si l’on réussit à en aligner les trois parties, on gagne quelque chose. On peut jouer à la maison sur www.boltanski-chance.com. L’élément de hasard dans la production d’un visage au premier plan représente pour nous une parabole des interprétations infinies de l’art contemporain. L’espace de Boltanski peut aussi être lu comme un environnement claustrophobe, à la fois pour les créatures qu’il génère mécaniquement et pour ceux qui fréquentent son travail.

Thomas Hirschhorn, Crystal of Resistance, techniques mixtes, 2011. Photo Marjorie Och.

Enfin, l’humour tranchant de Thomas Hirschhorn est en pleine gloire au pavillon suisse. Hirschhorn utilise les plus banals des matériaux, y compris sa feuille d’aluminium fétiche, des cotons-tiges et du ruban d’emballage en plastique marron – pour créer un environnement tumultueux à la Merzbau, à la fois espace ludique et grotte de cristal issue du monde des fables. A y regarder de plus près, l’aspect sauvagement coloré du travail de Hirschhorn révèle des images troublantes de corps blessés, torturés, ensanglantés, le long du chemin que l’on prend pour se rendre au pavillon, comme pour rappeler que le matériau utilisé par l’artiste cache souvent l’intensité du sujet, et reliant Hirschhorn à la faois à Goya et à Manet. Dans ses propos à la presse, l’artiste a souligné le besoin de « panique » dans l’art. En partant, on avait vraiment le sentiment qu’il avait profondément réfléchi à beaucoup de choses, mais avait attendu environ si heures avant l’ouverture pour commerce à les assembler de façon forcenée !

Correspondance de Venise : Preston Th

A suivre : l’Arsenal et la vision de Bice Curiger, commissaire de l’exposition Illuminations.