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Le Prado sans tête

Fernando Checa, le directeur du musée madrilène, en conflit avec son président, a présenté sa démission.

Le torchon brûlait depuis des mois au musée du Prado entre le président, Eduardo Serra, et le directeur, Fernando Checa, qui occupe ce poste depuis 1996. Il a, semble-t-il, connu son épilogue cette semaine avec la démission annoncée du second. Le dénouement a une saveur ubuesque : le président aurait profité d’une absence de son directeur, en déplacement lundi à Cuenca, pour s’emparer de son bureau, meublé avec goût et disposant d’une meilleure vue…

En réalité, l’anecdote recouvre des dissensions croissantes entre deux styles de direction et révèle une opposition de personnalités. Lorsqu’il a été nommé président en 1999, Eduardo Serra a vite fait comprendre qu’il n’entendait pas se cantonner dans le rôle effacé qu’avaient ses prédecesseurs, comme José Antonio Fernández Ordóñez, ou que continuent d’avoir les trustees des musées anglo-saxons. Ancien directeur général de Peugeot Espagne, ancien ministre de la Défense dans le gouvernement socialiste et actuel président du conseil d’administration de la banque d’affaires SBS-Warburg Espagne, Serra entendait mener personnellement le processus de modernisation du musée.

Cette politique d’aggiornamento passe par trois axes. Le premier est la recherche de financements privés pour assainir la gestion du musée. Dans ce domaine, Serra a apporté son solide carnet d’adresses et une indubitable force de conviction. En ce qui concerne le statut de l’institution, que Serra veut transformer en établissement public, le processus est bloqué. Un projet de loi devait être déposé mais José Maria Aznar a repoussé les échéances. Enfin, l’agrandissement du musée a lui aussi soulevé une vive opposition. Le projet de Rafael Moneo, qui consiste à construire un cube au-dessus du cloître des Jerónimos, démonté et remonté quelques mètres plus loin pour l’occasion, n’a pas respecté des éléments essentiels du droit de l’urbanisme. Il a également enfreint les règles de protection des monuments historiques, comme l’a révélé un récent audit. Il n’est pas exclu que le président ait voulu faire porter la responsabilité de ces errements à Fernando Checa.

La démission ne sera officialisée que lorsqu’elle aura été acceptée par le ministre de la Culture, Pilar del Castillo, que Fernando Checa rencontre ce matin. Mais elle n’est, selon les observateurs, qu’une question de jours. Les paris sont déjà ouverts quant à l’identité du successeur. Selon la presse espagnole, le directeur de la Fundación La Caixa, Luis Monreal, dont le style de direction s’apparente davantage à celui d’Eduardo Serra, aurait déjà décliné une offre. Les mieux placés sont Tomás Llorens, actuel directeur du musée Thyssen-Bornemisza, et Miguel Zugaza, qui occupe le même poste au musée des beaux-arts de Bilbao, récemment inauguré après une campagne de restauration. Un choix qui serait un manifeste pro-jeunesse : Miguel Zugaza, dont le père avait déjà occupé des fonctions importantes au musée de Bilbao et à la fondation Reina Sofía, n'a que 36 ans.


 Rafael Pic
03.12.2001