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Une passerelle entre couture et architecture

L'exposition Archi-couture à la Chapelle de la Sorbonne tente de rendre compte des connexions entre ces deux pans de la création contemporaine.

Archi-couture a été créé à l'initiative de l'association privée indépendante A3 (Architecture Art Association), fondée en 1993 dans le but de désenclaver la création architecturale. L'exposition est née de cette volonté d'ouvrir la discipline aux autres domaines de la création artistique, en l'occurence ici, la mode. Existe-t-il entre ces deux pratiques, un dialogue possible ? Y a-t-il un terrain d'entente entre l'architecture, pérenne, et la mode, éphémère ? Oui, car malgré leur nature d'apparence antithétique, les deux matières traitent du rapport de l'homme à son environnement spatial. De ce constat émerge le concept d'enveloppe. Le vêtement, tout comme la construction sont enveloppes d'un corps. Le parallélisme posé, cinq binômes composés d'un architecte et d'un créateur de mode, ainsi que des groupes d'étudiants d'écoles d'architecture et de mode ont tenté, dans un travail commun, de mettre en forme cette inter-relation observée.


Xavier Gonzales / José Lévy
Matrice
© Editions Hyx / A3
L'exposition mêle la jeune génération d'architectes (Didier Faustino, Frédéric Borel) aux noms plus connus d'Odile Decq, de Michel Kagan ou encore de Claude Parent. En revanche peu de stars de la couture, à l'exception de Sonia Rykiel, l'idée ayant davantage séduit, semble-t-il, la jeune génération, représentée ici par Gaspard Yurkievich, José Lévy, Libertin Louison, Isabelle Ballu et Geda (Rossi). Les projets nés de ces collaborations sont très différents dans leur conception et dans leur forme, oscillant entre l'objet-concept sans destination particulière (Decq / Louison) et l'objet utilitaire (Desmoulin / E. de Senneville), entre l'architecture molle (Gonzales / Lévy) et celle de l'angle droit (Kagan / Ballu). Le binôme Gonzales / Lévy conçoit sur le thème de l'habitat primitif, de la cabane originelle, la «matrice». De forme organique, elle se compose de deux alvéoles reliées, l'une fermée, l'autre ouverte sur l'extérieur. Cette forme aura pour matériau, dans sa finalisation, l'osier, dont le tissage rappelle celui du vêtement. La structure sera par ailleurs recouverte, sur sa face intérieure, d'un matelas de tissu de laine qualifié de «sous-vêtement» de l'architecture. Les deux créateurs évoquent au sujet de la matrice, un espace d'intimité, une protection et un refuge. Le terme de matrice est à entendre au sens premier, elle est la structure première, originelle. C'est la même question de l'intimité qui semble préoccuper Elisabeth de Senneville, qui, sur un mode plus anecdotique, propose une «cabine anti-pollution», «un lieu sain coupé du monde (...) un lieu de relaxation, de repli pour méditer». Cette structure nomade est faite de métal vieilli et de rideaux imprimés sur lesquels on peut lire, «les nuages, le ciel, l'air». L'objet n'est, selon sa créatrice, nullement utopique mais utilitaire, destiné à être commercialisé.


Didier Faustino / Gaspard Yurkievich
Desire © Editions Hyx
Photo : Marc Domage/ A3
Là n'est pas la démarche d'Odile Decq et de Libertin Louison, qui avec leur «hybride habitable», conçoivent un objet dépourvu de tout usage déterminé ou de toute fonction, c'est une «chose» laissée à l'interprétation et au bon vouloir de chacun. Didier Faustino et Gaspard Yurkievich sont également plus proches de l'objet-concept. Desire, actuellement présenté au musée d'art moderne de la Ville de Paris, dans le cadre de l'exposition Traversées, repose sur l'association d'une forme incertaine, sans usage et d'un vêtement. Ces ensembles peuvent être perçus davantage comme des installations, expérimentant le rapport du corps dans l'espace, d'un vêtement et d'une pièce. Chacun est donc demeuré dans son domaine de création mais tous deux se revendiquent d'un même esprit sensuel et anticonformiste.


Michel W. Kagan / Isabelle Ballu
Plate-forme prototype pour défilé de mode
© Editions Hyx / A3
Loin de cette incertitude d'usage et de forme, Michel Kagan, architecte pro-corbuséen et Isabelle Ballu ont conçu une plate-forme prototype pour défilé de mode. L'architecte part du constat que les rapports entre une architecture ou un vêtement et l'espace sont régis par la mesure. Or le corps n'est-il pas le premier instrument de mesure (cf. le Modulor de Le Corbusier) ? Isabelle Ballu note, quant à elle, la platitude formelle des podiums de défilés ; ne pourrait-on pas en faire un élément plastique, qui vienne servir, au même titre que les mannequins, les créations présentées ? Naît alors l'idée d'une plateforme aux dimensions variables, basée sur un module rectangulaire et qui, par un système de pleins et de vides, ne donnerait qu'une vision fragmentaire du mannequin et que l'exposition présente ici dans sa forme minimale. A noter également les projets réalisés par les étudiants des écoles d'architecture de Versailles, de Paris Malaquais, de l'ESA et de l'école des arts appliqués Duperré. Là encore les domaines d'investigation sont variés. Le parallélisme entre la maille, structure du tissu, et l'ossature d'une architecture, précédemment évoqué, est habilement mis en lumière par trois étudiants de Paris Malaquais et une élève de Duperré. La maille, agrandie à l'extrême, devient volumétrie et révèle une structure qu'elle laisse habituellement cachée. L'échelle agrandie induit des pleins et des vides et rejoint, par cette tridimensionnalité, la sculpture et l'architecture. Tous les travaux exposés ici confirment encore un peu plus, la transversalité de l'architecture contemporaine.


 Raphaëlle Stopin
27.12.2001