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Expositions

Jean Broc, La mort d’Hyacinthe, Poitiers, musée Sainte-Croix © Musée de Poitiers, Ch. Vignaud


Johann Heinrich Füssli, Roméo sur le cercueil de Juliette © Collection particulière


Le 19e siècle, triomphe du sentiment

Le musée de la Musique ouvre une seconde exposition consacrée à l'évolution parallèle de la musique et des arts plastiques.

Le principe de «L’invention du sentiment» reste le même que celui des «Figures de la passion», présenté à l'automne dernier. Tableaux, œuvres graphiques et sculptures sont mis en relation avec des extraits musicaux que chaque visiteur écoute à sa guise, en déambulant parmi les œuvres ou en s’installant dans des cabinets prévus à cet effet. Seule l’époque a changé. On a quitté l’âge classique et ses affects appréhendés comme des mécanismes universels de l’âme, pour le tournant des 18e et 19e siècle et son intérêt pour le sentiment dans ce qu’il a de plus intime. On est passé de la rhétorique stricte des passions à la représentation d’émotions individuelles qui ne se laissent pas emprisonner dans les anciens carcans. L’exposition donne à voir ainsi les bouleversements qui se produisent entre les toiles édifiantes de Greuze, dans lesquelles chaque «acteur» reste clairement identifiable par sa posture et par ses expressions théâtrales, et les personnages tourmentés de Füssli, inscrits dans un vaste mouvement de redécouverte de Shakespeare. Point fort de ce cheminement, les œuvres qui se cristallisent autour de l’influence du Faust de Goethe. En 1810, chez le chef de file des Nazaréens, Cornelius, le sujet donne naissance à des dessins au trait d’une grande netteté. Une quinzaine d’années plus tard, chez Delacroix ou chez le jeune Berlioz qui compose la cinquième partie de la Symphonie fantastique, le Songe d’une nuit de sabbat, la figure qui domine est celle de Méphistophélès. Les œuvres sont noires, dramatiques, envoûtantes, à la limite de la folie.

Pourtant, l’exposition est thématique. Elle ne met pas en scène cette évolution mais explore l’exemplarité du héros antique ou contemporain (du Philoctète dans l’île de Lemnos de Drouais à la Mort de Lord Nelson de Benjamin West), les décors conçus à Paris autour de 1800 pour des opéras de Gluck ou Auber, l’aspiration vers l’infini qui caractérise la peinture de paysage au temps de Joseph Vernet. Elle illustre autour de partitions, d’allégories, de caricatures et de portraits, la place centrale du musicien virtuose – Paganini, Liszt ou Beethoven -, véritable emblème du changement qui propulse la musique au premier plan dans la hiérarchie des arts. D’où une vision moderne qui abandonne la stricte opposition entre le néo-classicisme de David, Guérin ou Girodet et le romantisme de Goya ou Horace Vernet, pour illustrer un renouvellement protéiforme, qui ne se laisse pas enfermer dans une chronologie linéaire telle que celle à laquelle sont parfois réduites les grandes révolutions artistiques de la fin du 19e siècle. En enchevêtrant ainsi des œuvres de grands noms et de petits maîtres oubliés et en mettant côte à côte des créations contemporaines aussi différentes, le musée de la Musique joue donc la carte de l’audace. Avec talent.


 Zoé Blumenfeld
04.04.2002