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© Centre national de la photographie

Keita, un studio à Bamako

Un livre et une émission font revivre Seydou Keita, une grande figure de la photographie africaine récemment disparue.

La récente Biennale de la Photographie de Bamako et sa mort, quasiment concomitante le 22 novembre 2001 – une fin à la Molière ! – l’ont remis sous les feux de l’actualité. Seydou Keita est le grand photographe de Bamako. Né en 1923, il a tiré pendant deux décennies le portrait de la bourgeoisie locale. Une vie de photographe, sur les bords du fleuve Niger, ce ne sont pas un million de négatifs, comme sous nos latitudes mais simplement quelques milliers d’images posées, mises en scène. Un peu comme au temps des cartes de visite de Disdéri, au 19e siècle… Il faut dire qu’il n’était pas évident de convaincre la clientèle : pour beaucoup, se faire photographier, c’était se faire voler son dyaa, son âme. Mais la vraie raison de cette production somme toute limitée est ailleurs : Keita, qui a commencé son activité en 1945 et y a mis fin en 1977, travaillait à la chambre et non au reflex. Pas de tirages en rafale, comme sur les plateaux de mode ou les matches de football : on économisait le matériel et l’on veillait à ce que le cliché soit réussi dès le premier essai.


Seydou Keita : autoportrait
Qui sont ses modèles ? Au-delà de la beauté plastique des images, il n’est pas aisé de les décoder. Tout y est symbole, signe. L’habit doit décrire un statut social, transmettre un message de révolte ou d’identification. Combien de chapeaux vissés de travers à la Eddie Constantine ! Pourquoi ces tresses dites «à la Versailles» ? Parce qu’elles sont gonflées avec des pelotes de laine pour imiter la carrosserie d’une voiture de luxe. La camisole «Grand Dakar» ? Ses motifs imitent le triangle du grand centre administratif de l’Afrique Occidentale Française. Et qu’est donc ce taffetas degoli-musooro-siri ? Simplement un taffetas noué «à la de Gaulle», comme le général portait son képi… Vous ne le percevez pas mais ce jeune adolescent du groupe «Tant pis» est un subversif : avec ses camarades, il refuse le port de la ceinture ! Keita définit les attitudes, choisit le fond («couvre-lit à franges» de 1949 à 1962, «Fond-Fleurs» en 1956, «Fond-Gris» en 1964). Il dispose d’un poste-radio pour que l’élégante puisse s’y accouder et être à son avantage. Il peut même prêter une Vespa, symbole absolu de réussite. En 1962, à l’indépendance de son pays, Keita est aimablement invité à fermer son studio et à mettre son talent au service des renseignements généraux. Le fonctionnaire photographe prend sa retraite en 1977 et est «découvert» en Occident dans les années 1990. Il expose aux Rencontres photographiques de Rouen et d’Arles en 1993 puis à la fondation Cartier en 1994.


 Rafael Pic
12.01.2002