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Marché

Dans l'ombre de Chardin

Les salles new-yorkaises de Sotheby’s accueillent une vente marathon. Les peintres français devraient y être en vedette.


Chardin, Nature morte de cuisine,
huile sur toile, 36 x 45 cm
Estimation : 1,25 / 1,75 millions $
Après une semaine marquée par la vente de grandes collections d’arts décoratifs américains, les auctioneers retrouvent le chemin de l’art ancien. Une occasion de plus de constater la différence de politique des deux leaders du marché international. Demain, Christie’s présentera « uniquement » 80 lots mais deux d’entre eux sont susceptibles d'être multimillionnaires : une paire de Vedute vénitiennes de Canaletto estimée à 4 millions $ et le très attendu Sheerness vu du Nore de Turner, qui pourrait flirter avec les 8 millions $. Sotheby’s au contraire joue la carte de l’accumulation avec près de 250 lots dispersés en deux sessions, une programmation qui frappe peut-être moins les esprits…

La matinée est consacrée à la vente sans réserve d’une cinquantaine de tableaux provenant d’une collection privée. Réunissant des œuvres de « petits genres », elle compte entre autres d’intéressants jalons de l’histoire de l’art paysager. Le Paysage fluvial de Salomon van Ruysdael (100 000 $) illustre la rupture opérée par le peintre de Haarlem avec la tradition hollandaise, actuellement célébrée à la Kunsthalle de Hambourg. Le Paysage avec deux femmes à la fontaine de Laurent de la Hyre, probable pendant d’une scène aux baigneurs de 1653 conservée au musée du Louvre (500 000 $), est le digne représentant de l'art classique française tandis que le vif Paysage boisé avec un homme conduisant son bétail de Gainsborough (500 000 $) ouvre la voie aux courants de la peinture en plein-air.


Baron Gérard, Portrait de
Catherine-Noëlle Worlée,
princesse de Talleyrand-Perigord
,
huile sur toile, 225 x 165 cm
Estimation : 1,4 / 1,8 millions $
C’est pourtant au cours de l’après-midi que les principaux lots feront leur apparition. Elle commencera avec des tableaux anciens, de la Renaissance au 18e siècle. Parmi les lots les plus significatifs de l’ensemble, il faut noter les portraits de Saint Pierre et Saint Thomas de van Dyck (600 000 $ chacun), les deux seuls panneaux encore réunis de la série de treize peintures consacrée au Christ et aux apôtres, série dite Böhler du nom du collectionneur munichois qui les acheta au début du siècle. Y figurent également un Portrait de vieil homme de Giovanni Battista Tiepolo qui appartient à la série des philosophes, commémorée par les gravures de son fils, Giovanni Domenico, (500 000 $), une Galerie de peintures de David Teniers le Jeune, mettant en scène deux amateurs parmi les tableaux de la collection de l’archiduc Leopold Wilhelm d’Autriche sous le regard moqueur d’un singe, cette métaphore ancestrale de l’artiste qui s’entête à imiter le monde réel (600 000 $) et une Nature morte de cuisine de Chardin, célébration lumineuse de l’univers domestique dans ce qu’il a de plus humble (1,25 millions $).

Puis, ce sera l’heure de la révolution dans l’art européen de 1770 à 1830, soixante années extrêmement dynamiques pendant lesquelles se succèdent les goûts rococo, néo-classique et romantique. Peintures, sculptures, dessins et objets d’art illustrent des derniers soubresauts d’une époque et l’avènement de temps nouveaux. On trouve ainsi des toiles d’Hubert Robert, dont il est convenu d’interpréter les ruines comme des illustrations sensibles de la déchéance de l’Ancien régime, des images annonciatrices des évènements à venir, ainsi L’incendie de l’Opéra au Palais Royal en 1781 (300 000$). Quant aux œuvres néoclassiques qui illustrent l’ordre idéal auquel le monde aspire, il est représenté par un Portrait de David peint par le belge Navez (80 000 $) et par le monumental Portrait de Catherine-Noëlle Worlée par Gérard (1,4 millions $) qui immortalise une femme dont la vie sentimentale est célèbre pour être le reflet des turbulences d’une époque…


 Zoé Blumenfeld
24.01.2002