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Patrimoine

Comment l'Afrique a inventé l'art

L'analyse d'un éclat d’ocre sud-africain, vieux de 77 000 ans, bouleverse nos conceptions sur l'évolution de l'homme. Christopher Henshilwood, l'archéologue qui l'a mis au jour, nous explique la portée de la découverte.


D’où vient l’homme moderne ? De quand date sa première forme d’expression artistique ? Deux questions qui n’ont pas fini de diviser les spécialistes… On distingue schématiquement deux écoles. La première dit que l’homo sapiens est originaire d’Afrique mais que c’est en Europe, où il a délogé l’homme de Néanderthal, qu’il a acquis, il y a environ 40 000 ans, ses caractéristiques «modernes». Cette vision très eurocentrique est combattue par un second groupe de chercheurs, qui estime que ce passage au modernisme a eu lieu graduellement, en Afrique même, à partir de 100 000 ans avant notre ère. Seul le manque de données sur l’âge de pierre en Afrique, où les sites fouillés sont en nombre infime par rapport à l’Europe, expliquerait l’absence de preuves concrètes.

Une petite pièce d’ocre, dont la surface est recouverte de lignes gravées, semble apporter un avantage essentiel à la thèse «africaniste». Elle a été mise au jour par le professeur Henshilwood et son équipe, du South African Museum. «Nous l’avons trouvée dans les grottes de Blombos, à 300 kilomètres à l’est du Cap explique Christopher Henshilwood. Ces grottes donnent sur le littoral et sont à 34 mètres au-dessus de la mer. Le morceau d’ocre se trouvait au niveau correspondant à l’âge de la pierre moyen, daté de –77 000 ans. La carrière d’ocre se trouvait à 30 kilomètres. Les occupants allaient extraire le matériau et le transportaient sur cette distance : il reste environ 8000 autres fragments d’ocre dans les grottes.» Sur l’une de ses faces, l’objet présente une série de lignes, qui se croisent en zigzag, de façon régulière. Peu de choses pour le non-initié mais une révélation pour les préhistoriens…

«Pour définir l’homme moderne, on utilise un certain nombre de critères : la capacité à produire des outils en os, à pêcher, à utiliser des symboles, etc. Il y a, dans les grottes de Blombos, de nombreux restes d’arêtes de poissons. Nous avons aussi trouvé de l’ocre broyé, ce qui laisse supposer qu’on utilisait le matériau pour des peintures corporelles. Quant à l’objet lui-même, gravé à l’aide d’un éclat de pierre, il démontre cette capacité à produire des symboles. Ces signes - qui ne sont pas des chiffres - ne pouvaient pas être directement intelligibles. Cela sous-entend l’existence d’un langage.» La découverte, qui est abondamment explicitée dans le dernier numéro de la revue «Science», est-elle une première forme d’art ? On pourra en discuter abondamment. Mais elle est, à ce jour, la première manifestation d’une pensée abstraite. Environ 50 000 ans avant Lascaux ou Altamira…


 Rafael Pic
14.01.2002