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Expositions

Des petites robes pour une grande dame

A l’occasion de la donation consentie au Musée Galliera par Madame Carven, une rétrospective retrace le parcours de la créatrice des p'tites robes sans histoire.


Carven, Parasol, 1947
Robe de bain
Dessin de Roger Rouffiange,
crayon noir et aquarelle
Musée Galliera, cabinet des
estampes © Photo : Karine
Mocotel, Paris-Musées
C’est auprès de son beau-frère, l’architecte Robert Mallet-Stevens, que Madame Carven, ou Carmen de Tommaso, apprend le sens des proportions. Etudiante, aux beaux-arts, elle hésite entre l’architecture et la décoration. De petite taille et très sportive, Carven préfère créer ses propres vêtements. Dans le milieu aisé et mondain qui l’entoure, ses amies l‘encouragent. En 1945, elle ouvre la maison Carven, contraction de son prénom et de la dernière syllabe du nom de sa tante Josy Boyriven, qu’elle chérit. Dès le début, son style est marqué par des créations pour des silhouettes à son image. Des robes toutes simples, que l’on qualifie de «sans histoire» et qui imposent le genre Carven. A l’entrée des salles d’exposition, un clin d’œil est rendu à la marque de fabrique de la couturière. Deux canapés sont recouverts de draps de coton rayé vert et blanc. Le vert, c’est sa couleur fétiche, ce ton tant redouté par les acteurs. Pourtant, elle habille de nombreuses starlettes du cinéma français, Martine Carol ou Cécile Aubry. Une présentation thématique retrace l’histoire de la maison de couture. Suspendues dans d’immenses vitrines, 90 créations de Madame Carven sont mises en valeur, accompagnées de croquis, de photographies et de documents vidéos.


Carven, Extase, 1945
robe du soir. Musée Galliera
© Photo : Karine Mocotel,
Paris-Musées
Son premier succès, intitulé Ma Griffe, la fameuse robe en cotonnade rayée verte et blanche, ouvre le bal. On lui fait honneur, elle est l’image de marque de la maison. Le vichy rose et blanc en 1948, bien avant que Brigitte Bardot ne le rende célèbre dans le monde entier, est une autre de ses trouvailles. On découvre que la styliste a introduit dans le monde fermé de la haute couture des matériaux moins nobles. La toile brute, le macramé et même le rafia, dont elle brode des vestes, font leur entrée. Une nouveauté en opposition à la profusion de paillettes alors d’usage. Elle apporte un vent de fraîcheur immédiatement adopté par les jeunes générations. Mais ce n’est pas la seule idée de génie de la couturière. Sa première innovation est de concevoir des modèles pour les femmes de petite taille. Pour cela, elle gagne des centimètres dans la coupe. Elle cintre les tailles, supprime les rembourrages excessifs, ajoute des «mancherons» pour allonger des épaules menues. Enfin, elle joue sur les décolletés affriolants, les dos nus espiègles et choisit des matières souples et légères. Ses robes de cocktail et de croisière se veulent elles aussi affranchies des excès traditionnels de la couture. Les mousselines s’envolent, les tulles virevoltent dans un tourbillon de couleur, vert (toujours), prune, rose ou encore un superbe gris «fumé». «En hommage au soleil, j’ai souhaité que chaque pièce puisse être hâtivement pliée dans une valise...» explique Carven en 1951. Comme les jeunes filles et les jeunes femmes l’adorent, elle consacre une part importante de ses collections aux robes de mariées. Notamment celle de Madame Giscard d’Estaing. A l’écoute de ses clientes, Carven se plie au goût littéraire de la future première dame de France et compose une robe qui évoque La Princesse de Clèves...


Dans l'atelier, vers 1945
Musée Galliera, fonds archives Carven
© Photo : Michel Brodsky
Si le style Carven nous est tant familier, c’est aussi en raison des nombreux uniformes qu’on lui a commandés dès 1965. Le plus célèbre d’entre eux est la tenue des contractuelles : les «pervenches», ainsi surnommées pour leur couleur. Elle habille également les hôtesses de l’air de nombreuses compagnies, Kuwait Airways en 1966, Saudi Arabian Airlines en 1978 et Air France en 1989. Pour Air Afrique (1980) et Cameroun Airlines (1981), elle reprend des motifs africains très colorés. Un exotisme qu’elle affiche dans ses collections dès 1955 avec la robe Loukoum ou San Salvador. A l’heure des rétrospectives sur les grands couturiers - Armani, Yves Saint Laurent - le musée Galliera propose un parcours évident et sans manières, pour une femme à l’image de ses créations : toute simple.


 Laure Desthieux
28.01.2002