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Patrimoine

Alice interdite de sortie

Le gouvernement de Tony Blair vient de refuser le visa d'exportation pour 15 images d'Alice Liddell par Lewis Carroll. Les musées anglais ont 6 mois pour rassembler les fonds qui permettront à ces trésors nationaux de rester au pays.


Charles Dodgson, Edith, Ina et Alice Liddell sur un sofa,
1858 © Sotheby's
Le 6 juin 2001, au cours de la vente L01912, Sotheby’s dispersait à Londres des objets ayant appartenu à Alice Liddell, l’égérie de Lewis Carroll, décédée en 1932. Cette vente, demandée par la famille, mettait sur le marché des biens – livres, habits et photographies, bien sûr - dont certains étaient jusqu’alors prêtés à la bibliothèque Christchurch de Cambridge. La vente a été couronnée de succès, rapportant un peu plus de 2 millions £. Quelques objets ont été rachetés par des enchérisseurs anonymes, qui en ont fait don à Christchurch, mais une grande partie a été acquise par des collectionneurs étrangers, essentiellement américains. Le gouvernement britannique a fait savoir lundi qu’il avait temporairement refusé le certificat d’exportation pour 15 négatifs et tirages photographiques du révérend Charles Dodgson (le vrai nom de Lewis Carroll) au motif qu’ils constituent des pièces d’intérêt national. La licence d’exportation est nécessaire en Grande-Bretagne pour les objets de plus de 60 ans d’âge ou dont la valeur dépasse 6000 £.

Pourquoi le gouvernement de Tony Blair, généralement libéral en la matière, a-t-il pris cette décision ? «Le cas n'est pas nouveau, souligne Russel Roberts, conservateur pour la photographie au musée de Bradford et auteur du rapport qui a convaincu le comité du ministère de la Culture. En 1995, la même procédure a été appliquée pour Fox Talbot. Les critères applicables en la matière sont dits de Waverley et ont été définis dans les années cinquante. Ce que nous avons mis en avant, c'est qu'il s'agit là de la dernière occasion de conserver dans des collections publiques britanniques un élément important du patrimoine national, littéraire aussi bien que photographique. Ces négatifs et ces tirages ont été donnés par Lewis Carroll à Alice en signe de gratitude pour avoir été une source d'inspiration. S'ils venaient à quitter la Grande-Bretagne, nous perdrions des documents essentiels. Il n'existe plus dans le pays d'images d'Alice de cette qualité, si l'on excepte une photo au format carte de visite collée dans le manuscrit d'Alice au pays des merveilles, conservé à la British Library.».


Charles Dodgson, Edith Liddell sur
un sofa 1858 © Sotheby's
Le refus d’exportation n’est cependant valable que pour six mois. Il arrivera à échéance le 27 mai. Il faudra recueillir, avant cette date, 600 000 £ pour indemniser les vendeurs, qui ont repris possession, temporairement, de ces memorabilia. «Nous comptons associer les financements d'entreprises et d'institutions publiques et nous ouvrons un compte pour que les particuliers puissent contribuer à notre effort» précise Russell Roberts. Si ces belles images, un peu fanées, des trois sœurs Liddell - premières auditrices, lors d'une célèbre promenade en barque en 1862, de l'histoire du dodo, du lapin blanc et de la reine de cœur – sont rachetées, quel sera leur sort ? «Elles seront partagées entre la National Portrait Gallery, à Londres, et le National Museum of Photography, Film and Television, ici à Bradford. L'objectif est ensuite d'établir un centre de recherche, à Oxford, où elles pourront être consultées.»




 Rafael Pic
30.01.2002