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Expositions

Thomas Eakins, un Américain à Paris

Le musée d'Orsay poursuit sa politique d'hommages aux artistes réalistes de la fin du 19e siècle.


Thomas Eakins, John Biglin à l'aviron,
1873-74, huile sur toile, Yale University
Art Gallery, New Haven © Musée d' Orsay
Pourquoi Thomas Eakins ne s'est-il pas contenté d'être photographe ? L'actuelle exposition du Musée d'Orsay confronte les tirages délicieusement patinés de ce maître, né à Philadelphie en 1844, à ses peintures plus académiques, voire ennuyeuses. Formé dans l'académie de sa ville natale, puis à l'école des beaux-arts de Paris, dans l'atelier de Gérôme, Eakins eut beau évoluer en pleine révolution impressionniste, il n'en demeura pas moins attaché à la tradition réaliste héritée de l'Antiquité, et à la passion pour l'anatomie de la Renaissance. Suivant des cours de médecine, moulant consciencieusement des morceaux de corps disséqués, il en scruta minutieusement les moindres ligaments, en étudia les recoins les plus secrets.

Corps musclés, moustaches soigneusement taillées, ses premiers modèles ont été des sportifs, pratiquant l'aviron. La première salle de l'exposition présente quelques-unes des toiles qui leur sont consacrées, ainsi que des portraits intimistes, sombres, réalisés dans le confort d'une maison bourgeoise. Puis sont exposés les premiers nus, peints d'après les photographies prises par l'artiste lui-même, représentant sa fiancée ou ses étudiants. Car, de retour aux États-Unis, Eakins est devenu professeur, puis directeur, d'académie... Jusqu'à ce qu'il soit obligé d'en démissionner, tant ses séances de pose, un temps légitimées par la référence antique, firent scandale. Il est vrai que les photographies présentées dans la dernière salle, figurant des groupes d'adolescents (quatre nus) ou Eakins lui-même, portant à bout de bras une jeune femme (deux nus), avaient de quoi choquer l'Amérique puritaine !

Sans rancune, Eakins n'en n'a pas moins, sa vie durant, portraituré son Amérique, ses bourgeoises mélancoliques, ses boxeurs new-yorkais, ses cow-boys du Dakota et, plus que tout, ses héros modernes. «Rester en Amérique pour sauver le cœur de la vie américaine», tel fut son but, et la mission qu'il assigna à ses disciples. Chirurgiens ou physiciens, chacun s'est vu immortalisé par l'appareil photo, puis par le pinceau. Chef-d'oeuvre de l'exposition : le portrait photographique du vieux poète Walt Whitman, qui écrivit : «Je n'ai connu qu'un seul artiste, Tom Eakins, qui ait su résister à la tentation de voir ce qu'on devait voir, plutôt que de voir ce qui est.»


 Françoise Monnin
15.02.2002