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Expositions

Déchiffrer le conceptuel

Le Musée d’Art Moderne de Lille Métropole consacre une exposition rétrospective au mouvement Art and Language. Too dark to read ou l’art conceptuel rendu lisible.


Au premier plan, : Vue partielle de
l'accrochage de Homes from
Homes 1 et 2
, 2000-2001,
Collection Art & Language.
Dans le fond: Détail de Index :
The Studio at 3 Wesley Place
,
peint avec la bouche I, 1982, 343 x 727
cm, Collection Herbert.
© Matthieu Langrand
Petit rappel historique. L’art conceptuel émerge vers le milieu des années soixante, et de façon simultanée dans plusieurs pays, dont les Etats-Unis, l’Angleterre ou la France. Alors que s’essouffle l’expressionnisme abstrait et que triomphent le Pop Art et Fluxus, certains artistes cherchent une autre voie, une voie qui ne soit ni celle de l’abstraction ni celle du ready-made pop, toutes deux pourvoyeuses d’icônes. Afin de briser cette valeur iconique attachée à l’objet d’art, ils proposent de supprimer l’objet pour ne conserver que l’idée, qu’ils pensaient de plus, inaliénable par le marché. C’est le langage de l’art et non sa forme qui sont désormais investis par les artistes, ce que Kosuth (membre d’Art and Language à la fin des années soixante) résume dans cette formule manifeste : Art as Idea as Idea, c’est-à-dire l’art-en-tant-qu’idée en tant qu’idée. Fondé en 1968 en Angleterre, Art and Language se développe parallèlement aux Etats-Unis, et dénombre dans les années soixante-dix, près de 30 membres. Les œuvres sont signées Art and Language, paraphe collectif qui vise à démystifier la figure de l’artiste. La diffusion de leur réflexion théorique est assurée par la création d’une revue Art-Language et l’organisation d’expositions. Dans les années quatre-vingt, ne demeurent que trois membres, Michael Baldwin, Mel Ramsden et Charles Harrison, lequel contribue à l’œuvre critique.


Homes from Homes 1 et 2,
2000-2001, Vue partielle de
l'accrochage, Collection Art &
Language © Matthieu Langrand
Joëlle Pijaudier-Cabot, conservatrice du Musée d’Art Moderne de Villeneuve d’Ascq et commissaire de cette exposition, a reçu pour cette occasion, l’aide de Michael Baldwin et Mel Ramsden. Œuvres récentes et plus anciennes, adoptant des formes aussi diverses que la peinture, la vidéo, l’écrit ou l’affiche, se côtoient dans un parcours non chronologique. Les premiers travaux réalisés par le groupe s’inscrivent dans le contexte de l’art conceptuel et font cohabiter l’énoncé de l’œuvre et sa réalisation (Secret Painting, 1967-68). En 1972, affirmant l’omnipotence du langage, ils présentent à la Documenta V, Index, fichiers métalliques contenant l’ensemble de leurs textes. L’écrit vaut l’œuvre, l’expérience de celle-ci semblant tenir dans le seul langage. Dès la fin des années soixante-dix, le groupe concentre sa réflexion théorique sur la peinture, la spécificité de l’expression picturale, son statut et le rôle de la main du peintre. A ce titre, la peinture L’atelier du 3 Place Wesley, peint à la bouche (1982) est exemplaire, reprenant l’atelier du peintre de Courbet, sur le mode de l’ironie, elle met en cause la virtuosité de l’artiste, son génie légendaire. Les genres picturaux et les grandes figures sont tour à tour convoqués. Le Portrait de Lénine (1980) pastiche le style de Jackson Pollock, figure archétypale de l’artiste peintre moderniste, auquel Art and Language associe la figure du révolutionnaire, Lénine. Comme en témoigne Ramsden, interrogé à propos de cette série en 1988, il s’agissait là de démontrer que l’art conceptuel peut être autre chose que des mots sur des murs, qu’il est doté d’un sens de l’ironie corrosif. Dans ce même esprit de dérision, ils revisitent l’héritage conceptuel et leur œuvre passée, au travers de Homes from Homes 1 et 2 (2001-2002), réalisées spécialement pour l’exposition. 213 œuvres parodient leurs travaux antérieurs, certaines ont été disséminées dans l’espace d’exposition et 71 d’entre elles ont été rassemblées sur deux structures de bois type panneaux d’affichage, disposés face à face. Elles opèrent une sorte de mise en abîme de l’œuvre auto-réflexive, puisqu’esquissant une exposition dans l’exposition, une œuvre dans l’œuvre, brouillant les identités entre originaux et fac-similés. Le parcours s’attache, de façon habile, à traduire les relations étroites qui lient l’œuvre passée et présente, mise en regard témoignant de la permanence du concept auto-réflexif chez Art and Language et de son perpétuel questionnement.


 Raphaëlle Stopin
05.04.2002