Accueil > Le Quotidien des Arts > Tranches de solitude

Expositions

Tranches de solitude

Au moyen de la vidéo et de la photographie, Philippe Thoretton capture l'absence, l'isolement de nos contemporains.


Pierre Thoretton (35 ans) s'immisce dans le creux d'une forme pour la replier sur elle-même et par là, transformer l'espoir en affliction, l'inquiétude en réconfort, rendre visible ces deux faces qui finalement se mêlent. Présence et télé-présence ou vidéo-présence - forme neuve de l’absence : tels sont les enjeux d’un travail en plein développement. Several days est un film que l'artiste a tourné dans différents bars de Brooklyn. Cette galerie de portraits, diffusée au ralenti, s'attache aux détails de la gestuelle, aux expressions des visages, des mains, des ornements vestimentaires... Pas de nom, pas d'anecdote dans cette utilisation du portrait, un genre pictural traditionnel et extrêmement codifié. Mais les personnages sont finalement tous isolés. «Nous sommes encore davantage seuls dans les endroits urbains, bondés comme les bars. Plus il y a de monde, plus la solitude est pesante». Pierre Thoretton a filmé pendant trois ans cette solitude privée pour la montrer dans un espace public d’exposition sur fond sonore de rumeurs qui vont et viennent comme dans les grandes villes. L’artiste a retranscrit, dans une exigence de rigueur d’un art minimalisé, l’appétit des formes et d’objets venus de l’enfance (comme ces bancs aux formes de nœuds du bois, cette cabane aux feuillages surimprimés).


Pierre Thoretton travaille avec la vidéo, dans la structure d’un message, l’idée d’une distance à soi-même, menace banale où se construisent le désir comme l’identité des egos modernes. L’ivresse tente de rendre compte de la puissance évocatrice de la fiction narrative dans ses dimensions autobiographiques et poétiques. Ainsi ses agencements, proches en esprit du minimalisme et du suprématisme, rendent à l’image un peu de son mystère originelen faisant de ces portraits, pris furtivement (en vidéo ou en photo), l’insigne de l’universel perdu dans son isolement.

Tout autour de l’espace, des lettres deux par deux ou trois par trois en néons rouge, forment une phrase : «Ma chi si sta occupando dei bambini» («Mais qui s'occupe des enfants»), une question et un constat. La phrase se replie sur elle-même dans la mesure où il faut bien se rendre compte que personne ne s'occupe de poser une telle question. Peut-être vient-elle réveiller un certain sentiment de malaise ? Celui qui apparaît insidieusement chaque fois que se pose la question d’agir ; le plus difficile étant, une fois le choix fait, de croiser le regard de l'autre… l’enfant. Plus de 800 personnes sont venues au vernissage et ont pu lire ce message : «Cet artiste n’est pas seulement discret. Il aime finalement faire découvrir des sens cachés ou capturer des êtres à leur insu, de loin donc. Comme s’il s’agissait de retrouver le geste légendaire du peintre (…) se reculant pour voir l’effet de ses lignes et de ses couleurs assemblées». Sur une musique aux accents urbains, à travers le déroulé lent et sensible de l'image propre à l'intériorisation, Pierre Thoretton nous entraîne à la découverte progressive des acteurs de cette danse sans fin, faisant par là acte de lyrisme au cœur même de l'ordinaire. L’exposition se poursuit à la galerie Frank avec une série de photos prises lors d’une soirée, d’une nuit en famille, entre amis, ici, ailleurs, nulle part… le contraire de l’isolement, même si ce contraire n’est pas toujours évident !


 Muriel Carbonnet
02.05.2002