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Les grands travaux de Mussolini

Sous le fascisme, la capitale italienne est remodelée sans états d'âme. Le fonds photographique de l'Istituto Luce en donne une image saisissante.


Démolition de l'angle nord de
Piazza Navona, janvier 1937
© Istituto Luce
Rome ville éternelle ? Pas tant que ça… La capitale italienne, que l’on imagine figée dans ses siècles, a connu dans les cent cinquante dernières années une série de grands travaux qui ont significativement modifié son apparence. Le coup d’envoi en avait été donné dès la proclamation de l’unité du pays avec la construction du Vittoriale, le monument à Victor-Emmanuel que les Romains, par dérision, appellent plus volontiers la «machine à écrire». Tout un quartier ancien de Rome disparut alors sous les pioches des démolisseurs. A partir de 1919, l’Istituto Luce, l’agence photographique d’Etat, suivit de près les travaux qui affectent la topographie de la ville des papes.

Comme en témoignent ses images, avec Mussolini, les opérations assument une tout autre échelle. La grise Via della Conciliazione qui se veut une allée royale vers le Vatican – dont elle réduit en fait les proportions comme Viollet-le-Duc l’avait fait pour Notre-Dame en instituant un parvis – en est l’emblème. Mais le Duce, dans son obsession pour faire revivre la grandeur de la Rome antique, a commis bien d’autres outrages… ce qu’il annonçait d’ailleurs clairement lors de l’installation du premier gouverneur au Capitole en 1925 : «Les monuments millénaires de notre histoire doivent trôner dans une indispensable solitude». Pour isoler le Capitole, on lui dessine un cordon sanitaire en démolissant les vieilles maisons au pied de l’escalier de l’Ara Coeli. L’église de Santa Rita, due à Carlo Fontana, est gênante : on la remonte Piazza Campitelli. Pour son grand caprice de la via dell’Impero, Mussolini fait disparaître un quartier entier qui avait le défaut de ne dater que du 17e siècle. On vient de fêter la renaissance de Rome comme cité de mélomanes avec le nouvel auditorium dessiné par Renzo Piano. On s’est souvenu à l’occasion que c’est à Mussolini que l’on doit la destruction, en 1937, de la grande salle de concert de l’Augusteo, un joyau Art nouveau. Le vide alors créé est borné de colonnes grandiloquentes tandis que l’on remonte à côté l’Ara Pacis d’Auguste, dont le réaménagement, demandé à l’architecte Richard Meier, ne cesse d’alimenter la polémique.


Via della Conciliazione, 1937
© Istituto Luce
Mais il serait faux de croire que Mussolini n’a fait que démolir. Il a également su endosser l’habit du constructeur. Sa création la plus originale est l’EUR, acronyme de Esposizione Universale Roma. Ce quartier monumental, dont les principes ont été formulés par l’architecte Marcello Piacentini, devait accueillir l’exposition universelle prévue pour le vingtième anniversaire de la Marche sur Rome. Les événements ont bien sûr contrecarré ce projet, qui n’a été achevé qu’après la guerre pour devenir un quartier résidentiel huppé. Adepte du sport, qui sculpte les corps et les âmes, comme au temps des gladiateurs, le guide suprême a légué son nom à un stade sur les hauteurs de la ville, le Foro Mussolini. On lui doit également la décision de construire la nouvelle gare Termini. Enfin, c’est aux portes de l’Urbs, pour faire de l’Italie une puissance cinématographique, que s’ouvre le chantier de Cinecittà. C’est dans son voisinage immédiat que s’installe l’Istituto Luce, à la veille du conflit mondial. Son fonds, qui atteint aujourd’hui un million d’images, fait revivre une Rome inattendue, qui ressemble à un chantier permanent.


 Rafael Pic
29.04.2002