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Berlin vu par Basilico

Le photographe-architecte milanais dépeint une ville en chantier et désertée.

Depuis qu’il a quitté sa Lombardie natale avec un diplôme d’architecte en poche, Gabriele Basilico n’a cessé de sillonner les villes européennes, leurs zones industrielles, leurs sites archéologiques, leurs centres historiques et leurs quartiers en mutation. Il en a scruté l’agencement, les volumes et les lignes dans le cadre de commandes ou de recherches plus personnelles. En 1990, Gabriele Basilico avait déjà photographié Berlin, «en suivant les traces du Mur en voie de démolition, (...) frappé par les décors qui suscitaient de nouveaux points de vue et une perception renouvelée du paysage urbain». Dix ans plus tard, il est revenu à trois reprises dans cette ville où, selon lui, «il est impossible de ne pas avoir affaire à l’architecture». Actes Sud publie cent cinquante de ces clichés, enrichis d’une courte «Note de voyage» du photographe et d’une interview menée par Hans Ulrich Obrist du musée d’Art moderne de la ville de Paris. L’une comme l’autre permettent de mieux comprendre le but poursuivi par le photographe-architecte.

De Berlin, il a voulu dresser un «récit-portrait «documentaire» et «autobiographique» exprimant le devenir et le passage temporel d’une capitale européenne retrouvée». Fasciné par cette ville «qui représente au plan symbolique les événements les plus significatifs qui ont marqué le 20e siècle : de l’avènement du nazisme à sa destruction physique, de la guerre froide et de la construction du Mur jusqu’à sa démolition», Gabriele Basilico a saisi les lieux symboliques de cette histoire. Des vues de la colossale île des musées ou des églises de Gendarmen Markt restituent une grandeur intacte de la cité prussienne. D’autres, au contraire, témoignent des bouleversements survenus et de leur inclusion dans la ville contemporaine : les ruines de l’ancienne gare d’Anhalt conservées en état depuis le bombardement de 1943 ou Check Point Charlie, symbolisé par un simple panneau qui domine la Friedrich Strasse et met dos à dos les portraits photographiés d’un soldat américain et d’un homologue russe.

Bien qu'intéressé par ce vaste «chantier d’expérimentation architecturale», Gabriele Basilico reste fidèle à son style. La ville qu'il dépeint semble étrangement morte, saisie dans une faible lumière qui suffit pourtant à «éclipser» les grues. Il a occulté de nombreuses constructions récentes, tournant délibérément le dos aux derniers aménagements de la place de Brandebourg pour isoler le monument dans une grandeur intemporelle. Lorsqu’il s’est intéressé aux réalisations les plus récentes, des constructions de Jean Nouvel pour le centre commercial à la célèbre installation de sculptures de vaches sur la paroi aveugle d’un immeuble de la Kollwitz Strasse, c’est en leur conférant cette même immuabilité. À vouloir profiter «des pauses pour pouvoir observer et travailler, et pour ralentir le rythme afin de conquérir l’espace nécessaire au regard», il a pris le parti de photographier un Berlin abandonné par ses habitants. La ville fourmillante est devenue déserte. Et quand bien même les hommes sont-ils là, ils disparaissent, silhouettes mouvantes, devant les nouveaux bâtiments de la Potsdamer Platz ou fondues dans les parois de pierre du Reichstag.


 Zoé Blumenfeld
10.05.2002