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Les 500 ans du Jeune lièvre

L’Albertina de Vienne célèbre l’anniversaire de la pièce la plus emblématique de sa collection : le Lièvre de Dürer.


Albrecht Dürer, Jeune lièvre,
aquarelle, 1502
© Albertina
En 1502, la célébrité d’Albrecht Dürer (1471-1528) n’est plus à bâtir. Le jeune homme qui a fait ses premiers pas dans l’atelier de son orfèvre de père a quitté sa Bavière natale pour rompre avec les dernières attaches du gothique flamand et découvrir de nouveaux modèles. Lors de son séjour en Alsace et à Bâle, en 1490, il s’est exercé à la gravure, travaillant à l’illustration de livres. En 1494, prenant prétexte d’une épidémie, il est parti pour Venise et s’est familiarisé avec la technique de l’aquarelle, la peinture de paysage et les questions de perspective et d’optique.

Plus de dix ans avant de choisir la gravure pour immortaliser un Rhinocéros, Albrecht Dürer prend ses pinceaux pour travailler à l’une de ses aquarelles les plus connues, le Jeune lièvre. Par-delà ce choix technique, tout oppose ces deux œuvres. Au caractère légendaire du premier animal, rapporté d’Inde par Manuel Ier et décédé sur le chemin qui devait le mener jusqu’au pape Léon X auquel le souverain portugais l’avait offert, s’oppose la banalité du petit mammifère. À la représentation fantaisiste d’un animal exotique qu’il n’avait jamais vu s’oppose une image si fidèle à la réalité qu’on reconnaît, dans la pupille du lièvre, le reflet de la fenêtre de l’atelier où Dürer l’a peint.

À en croire Klaus Albrecht Schröder, l’actuel directeur de l’Albertina, le musée viennois qui conserve la fameuse aquarelle depuis sa fondation, en1796, ce naturalisme est l’une des clés de sa célébrité. «Avec le Lièvre, Dürer a créé quelque chose de révolutionnaire : une reproduction impartiale de la nature. Ceci nécessitait de la part de l’artiste un détachement considérable, que l’on pourrait qualifier de scientifique, par rapport à son objet. En même temps, Dürer dotait son lièvre d’une âme. Il ne s’agit pas d’une nature morte ou d’un objet mort mais d'un être vivant de chair et de sang. Avec une œuvre comme celle-ci, Dürer quitte le Moyen-Age et prouve qu’il est l’un des pionniers de l’humanisme et de la Renaissance moderne». Le succès précoce qu’a connu le Jeune lièvre ajoute au crédit de cette théorie. Datée de 1502 par Dürer qui y a apposé son célèbre monogramme, l’aquarelle avait déjà été copiée une douzaine de fois à la fin du 16e siècle. Et, à la mort de l’artiste, elle passa entre des mains aussi prestigieuses que celles de l’empereur Rodolphe II, qui l’emporta à Prague après l’avoir acquise auprès des descendants d’un célèbre collectionneur contemporain de Dürer, Willibald Imhoff.

Alors que Vienne se réjouit de cet anniversaire et prépare une vaste rétrospective consacrée à Dürer à l’occasion de la réouverture de l’Albertina, en mars prochain, Nüremberg se désole. La ville natale de l’artiste peut se vanter d’avoir transformé en musée l’ancienne maison de l’artiste et de son épouse Agnes Frey. Mais, elle n’a pas pu s’enorgueillir de la présence du Lièvre depuis de longues années. Il faut en effet remonter plus de cinquante ans en arrière pour trouver la trace du dernier déplacement d’une œuvre jugée trop fragile : c’était à Paris, en 1950… Pour se consoler, Nüremberg organise cette année de nombreuses manifestations parallèles : campagnes d’affichages et expositions contemporaines inspirées par l’animal à la délicate fourrure.


 Zoé Blumenfeld
04.05.2002