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Marché

Pluie de records à New York

L'effet «11 septembre» semble effacé, au vu de la session printanière des enchères d'art moderne et contemporain. Des résultats qui soulèvent une nouvelle fois le problème de la compétitivité européenne.


Ed Ruscha, Talk about space,
1963, huile sur toile.
Deux soirées de ventes d’art moderne à cent millions de dollars chacune : 97,6 millions chez Christie’s qui ouvrait le feu le 7 mai, 126 millions chez Sotheby’s le jour suivant. Et une pluie de records : pour la sculpture, toutes époques confondues, avec une Danaïde de Brancusi à 18,1 millions de dollars (chez Christie’s), qui bat d’un souffle une autre tête, celle de Diego (1954), par Alberto Giacometti (13,8 millions de dollars chez Sotheby’s). Magritte avec L’Empire des lumières (12,6 millions de dollars, Christie’s) et Juan Gris avec Le pot de géranium (8,4 millions de dollars, Sotheby’s) ont également atteint un nouveau palier. Tout comme Ed Ruscha, dont le compteur a affiché 2,5 millions de dollars le 13 mai chez Phillips (Untitled, 1963) avant d’y ajouter un million supplémentaire le lendemain chez Christie’s (Talk about Space, 1963). Donald Judd, qui émargeait à un peu plus d’un million de dollars est subitement passé à 4,6 millions (Untitled, 1967, chez Christie’s le 14 mai). Asger Jorn, qui ne valait pas plus de 500 000 dollars depuis 1989, a dépassé la barre des 2 millions (In the Beginning was the Image). Louise Bourgeois, plus modestement, partant de la même cote, s’est hissée à 1,4 millions de dollars. Le même jour, Basquiat est passé de 3,3 à 5,5 millions de dollars avec Profit I, une toile de 1982 qui appartenait à Lars Ullrich, le batteur du groupe Metallica, aussi doué semble-t-il pour accompagner David Lee Roth que pour investir dans l’art contemporain… Frénésie spéculative ? Volonté d’oublier les événements de septembre ?

Les doutes que l’on pouvait nourrir sur la santé du marché new yorkais ont en tout cas été balayés en quelques jours. Après les événements de septembre 2001, on se prenait à imaginer une redistribution des cartes sur le marché de l’art: une Europe plus musclée, une Amérique plus attentiste… Le seul rééquilibrage semble avoir affecté les parts respectives des auctioneers. Après les efforts surhumains de Phillips pour se hisser au niveau de Christie’s et Sotheby’s – qui ont coûté quelques centaines de millions de dollars à Bernard Arnault en termes de garanties et qui ont fait illusion à l’automne 2001 – on en est revenu à la situation antérieure avec un duo de tête qui paraît intouchable par d'éventuels «nouveaux entrants». Pour le reste, ces résultats remettent d’actualité les conclusions tirées il y a quelques mois par le cabinet américain Kusin & Co, de Dallas, qui avaient été présentées à Tefaf en mars. Pour David Kusin, l’avance américaine ne peut que s’accroître, le Vieux Continent étant paralysé par deux volets de sa politique fiscale : la TVA à l’importation, établie en 1995, et le droit de suite (avec un plafond de 12500 euros), auquel les Britanniques échappent encore, mais dont l’application doit être harmonisée à l’ensemble de l’Union européenne en 2006. Selon les conclusions de David Kusin, en 2001, le volume des ventes d’art aux Etats-Unis a pour la première fois, dépassé celui de l’Europe (respectivement 12,5 milliards de dollars contre 12 milliards). Le secteur occupe près de cent mille emplois en Europe et Kusin estime que 20% des transactions, au moins, auraient été réorientées vers l’Amérique par ce désavantage fiscal.

C'est là un argument de poids dans la stratégie des antiquaires et des galeristes européens, dont le lobbying est encore peu efficace à Bruxelles. Le rapprochement en cours entre le SNA français, le BDA britannique et TEFAF devrait permettre de donner plus d’ampleur à ces revendications. Drouot partage, en substance, les mêmes préoccupations. Mais l'individualisme marqué de ses membres rendait peu audible son discours malgré son poids dans le marché mondial (près de 7% des transactions). Les choses devraient changer : les commissaires-priseurs français, après avoir découragé plusieurs repreneurs potentiels par leur indécision, viennent d’exprimer, en début de semaine, la volonté de vendre leurs parts dans la holding Drouot SA.


 Rafael Pic
16.05.2002