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Peter Herzog : «Je ne veux pas d’une collection à l’américaine»

L’expert bâlois en œuvres d’art a récemment ouvert une fondation pour présenter son fonds de 300 000 photographies, centré sur les années 1839-1860.


Eugène Atget, Les Primeurs,
vers 1910
© Fondation Herzog
Comment avez-vous débuté cette collection ?
Peter Herzog.
Tout a commencé il y a vingt-huit ans. Je suis expert en art et je voyais les personnes que je conseillais se déchirer pour les œuvres sans se préoccuper des photographies. L’intérêt que je portais à la photographie était plutôt d’ordre sociologique : je ne cherchais pas des Man Ray ou des Le Gray mais des images racontant l’histoire d’une famille ou d’une entreprise. Et puis, peu à peu, on apprend l’histoire de la photographie, on trouve des sources et on est à la tête de 300 000 clichés, des images singulières, des albums, des reportages industriels, œuvres de grands noms ou d’amateurs. Pourtant, l’orientation reste la même, on recherche le contenu plutôt que la pièce esthétique.

Est-ce pour cela que vous avez toujours tenu à ouvrir votre collection aux chercheurs ?
Peter Herzog.
Effectivement, nous entretenons depuis longtemps des relations étroites avec les universitaires, les musées et avec des privés qui sont intéressés par nos images. Mais il fallait franchir un pas de plus. La demande augmentait car ici, en Suisse et plus généralement dans les pays alémaniques, nous avons beaucoup de retard. L’importance de la photographie reste méconnue et il est nécessaire de faire l’éducation du public. Contrairement à la France, nous ne sommes pas la patrie de la photographie, nous n’avons pas d’experts, d’expositions, de marché ou de presse réellement spécialisés. Tout reste à faire dans un monde où on apprend par l’image sans y être pour autant très attentif.

Ce pas de plus, c’est la création d’une fondation à votre nom ?
Peter Herzog.
Mon frère, Jacques Herzog, et Pierre de Meuron ont entièrement réaménagé une ancienne halle industrielle. Il ne s’agit ni d’un musée, ni d’archives mais d’un laboratoire constitué de trois salles. La première rassemble nos réserves, notre «Kaaba», ainsi qu’une bibliothèque où les chercheurs peuvent travailler et consulter les images. Les deux autres salles peuvent être aménagées pour recevoir des écoles ou des universitaires ou pour présenter des expositions, ce que nous ne pouvions pas faire jusqu’alors. Avec la fondation, nous passion d’un endroit privé à un espace plus grand et spécialement adapté à nos besoins.


Anonyme, Éléphant devant un
théâtre parisien de variétés
,
vers 1860
© Fondation Herzog
Ce qui ne signifie pas pour autant que la collection se fige…
Peter Herzog.
Absolument pas. L’enrichissement de la collection reste un but. Nous achetons tous les jours grâce à un réseau de marchands et de maisons de ventes qui nous tient continuellement informés de ce qui surgit sur le marché. Parmi ces propositions, nous choisissons celles qui correspondent à notre collection.

Quelles sont les directions que vous favorisez actuellement ?
Peter Herzog.
Nous avons deux axes principaux, l’Asie du Sud-Est et la Russie, ainsi que les pays méditerranéens, qui sont déjà l’un de nos points-forts. Ainsi, nous avons récemment acquis six albums de John Thompson qui réunissent une centaine de photographies prises à Singapour ou Angkorvat dans les années 1863-4, ce qui est passionnant pour la connaissance de ces régions. Nous avons également acheté deux albums ayant appartenu à un ministre de la culture russe des années vingt qui contient une centaine d’images extraordinaires prises à l’occasion du premier anniversaire de la révolution russe. Ce sont autant de prédécesseurs de Rodchenko ! Sur un plan plus sociologique, on peut citer un reportage photographique réalisé vers 1900 par un artiste peu connu dans une maison hollandaise pour les enfants aveugles. Ces images plongent dans la vie des enfants, leur apprentissage de l’écriture du braille ou de l’accordage des pianos, leurs séances de gymnastique…

Dites nous quelques mots de l’exposition inaugurale.
Peter Herzog.
L’exposition «La collection Herzog dans une lumière neuve» n’est pas très grande : elle réunit soixante photographies sur deux cents mètres carrés. Mais elle représente le noyau de notre collection et symbolise son originalité. Nous ne faisons pas une collection à l’américaine, nous ne cherchons pas à acquérir les pièces que tout le monde veut. Pour les photographes connus, comme Le Gray, Le Secq et leurs proches, nous présentons des chefs-d’œuvre méconnus. Et puis, nous avons des clichés rares, comme ceux de Pesce, un militaire napolitain qui fut nommé chef de l’infanterie en Perse et qui réalisa les premières vues de Persépolis dont une superbe photographie d’une pierre taillée et sculptée de la figure d’un roi sous un parasol. C’était une œuvre dont on connaissait l’existence mais qui n’avait jamais été vue : un pur chef-d’œuvre esthétique !


 Zoé Blumenfeld
28.05.2002