Accueil > Le Quotidien des Arts > Ingres, le deuil comme œuvre d’art

Expositions

Ingres, le deuil comme œuvre d'art

Le musée du Louvre expose les cartons de vitraux de la chapelle destinée à commémorer la mort de Ferdinand, le fils aîné de Louis-Philippe.


Ingres, Carton pour le vitrail
de Saint Louis à la chapelle
Saint Ferdinand

© RMN
En juillet 1842, lorsque le prince Ferdinand meurt accidentellement sur la route de Paris à Neuilly, près de la porte Maillot, son père, Louis-Philippe, décide aussitôt d’un acte marquant destiné à souligner ce deuil. Il décide d’élever une chapelle sur les lieux du drame et charge Ingres d’en dessiner les vitraux. L’artiste devra respecter un programme précis : représenter les saints patrons des membres de la famille royale et les doter, parfois, de visages bien réels comme celui d’Hélène, l’épouse du prince décédé, sur la figure de Sainte Hélène impératrice. Ce geste rappelle à la fois le goût néo-médiéval du roi, qui met en place une politique de commande publique de vitraux dès le début de son règne, et l’attachement d’Ingres au prince qui admirait les deux tableaux qu’il lui avait commandé : Antiochus et Stratonice et un Portrait en pied. Moins de trois mois plus tard, des cartons très aboutis étaient livrés aux maîtres-verriers de la manufacture de Sèvres.


Ingres, Etude pour la figure
de Saint Rosalie
, musée
Ingres de Montauban
© Roumagnac
L’exposition-dossier du musée du Louvre réunit vingt-cinq cartons de vitraux d’Ingres : ceux des dix-sept verrières de la chapelle Saint Ferdinand (dite Notre-Dame de la Compassion), qui domine aujourd’hui le périphérique, non loin de Palais des Congrès, ainsi que ceux de la chapelle royale Saint-Louis à Dreux. Ces œuvres monumentales, à grandeur d’exécution, n’ont de cartons que le nom : il s’agit de peintures réalisées avec une huile extrêmement diluée sur des supports de toile dont le ton gris-blanc, laissé en réserve, sert de fond. Elles suscitèrent instantanément l’engouement du public et furent exposées au musée du Luxembourg avant de rejoindre, en 1847, les collections du musée du Louvre, acquérant ainsi un statut d’œuvres d’art généralement dénié à ce type de créations. Dans la salle de la Chapelle, elles sont présentées auprès de photographies des monuments et de leurs baies ainsi que de dessins préparatoires d’Ingres : études de compositions, de figures ou de drapés.

Car, autant il est difficile, a priori, d’imaginer un Marc Chagall se soumettant aux contraintes de la création sur verre, autant la manière linéaire et épurée d’Ingres semble appropriée à une collaboration avec les maîtres verriers. Les œuvres exposées dévoilent un artiste se passionnant pour l’iconographie traditionnelle et les modèles savants. On le retrouve annotant sur une feuille des informations pour Sainte Radegonde de Poitiers, s’inspirant de la prédelle de la «Pala Baglioni» de Raphaël pour créer les trois médaillons consacrés aux vertus théologales, copiant la célèbre statue de Charles V au musée des Monuments français pour en tirer la figure de Saint-Louis… Un travail de recherches dont il ne ressort aucune confusion, juste le sentiment que le peintre a trouvé d’emblée l’équilibre qu’il recherchait entre tentation médiévale, purisme et célébration officielle.


 Zoé Blumenfeld
28.05.2002