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Marché

Robert Descharnes
© Muriel Carbonnet

Dali, l'héritage infernal

Une guerre juridique et financière à rebondissements oppose, depuis plus de dix ans, l'Etat espagnol à Robert Descharnes, gérant des droits d'auteur de l'artiste.

À la question : «Dali, un monstre ?» Robert Descharnes répond : « Oui, bien plus que vous ne le pensez…». En 1989, le maître s’éteint, en laissant un testament particulièrement ambigu. L’Etat espagnol est légataire universel, et la société néerlandaise Demart Pro Arte B.V., créée en 1986 par Robert Descharnes, son confident de quarante ans, la gérante des droits d’auteur. Dali lui avait demandé: «Ami Descharnes, nettoyez et œuvrez pour moi au moins jusqu'à mon centenaire! », c’est-à-dire jusqu’en 2004, pour mener une lutte contre les faussaires, pour sauver et faire passer à la postérité le meilleur du génie de son «regretté ami».

L'Etat espagnol délègue ses fonctions à la Fondation Gala-Salvador Dali, établie par le peintre en 1983. Tout se passe plus ou moins bien jusqu’à l’arrivée, en 1991, de Ramon Boixados à sa présidence et jusqu’au départ, en 1994, de Robert Descharnes, expert en titre de cette même Fondation. Une guerre larvée s'instaure entre les deux hommes, qui n’ont pas le même regard sur Dali, sur son œuvre et sur sa sauvegarde. Le contrat de cession par lequel l’artiste confiait la gestion des droits de son œuvre à Robert Descharnes est révoqué en 1995 par l’Etat espagnol et transformé en «mandat». Ledit mandat aurait donc expiré lors du décès du peintre en 1989, bien que les tribunaux allemands, français, japonais ou suisses aient reconnu ce contrat.


Tapisserie réalisée d’après l’œuvre de
Salvador Dali : édition approuvée par
Monsieur Robert Descharnes et Demart
Pro Arte B.V. © 1988
S’ensuit une bataille politico-juridique «qui balaie les volontés de Dali» selon Robert Descharnes. Un des avocats français de Demart Pro Arte, Jean-François Marchi, considère de son côté que ce jugement est juridiquement indéfendable, et qu’il met en évidence le chauvinisme de la justice espagnole. A l’inverse, le président de la Fondation, Ramon Boixados, éprouve une satisfaction particulière «face aux tentatives de confusion de Robert Descharnes».

Le 26 mars dernier, le Tribunal d’instance de Madrid a donné raison à l'Etat espagnol dans le conflit qui l'oppose à Demart. Par ce jugement, l'Etat espagnol est reconnu comme unique propriétaire des droits d'exploitation de l'œuvre du peintre. Cette décision contredit les jugements précédents des autres pays concernant le remboursement des droits perçus par Demart. «Ce jugement s'ajoute à la longue liste des démarches par lesquelles Robert Descharnes a voulu agir contre l'État espagnol et la Fondation Gala-Salvador Dali, sans jamais obtenir la reconnaissance de ses droits. Il représente l'échec incontestable de ses prétentions», se félicite de son côté Ramon Boixados.

«Il faut sortir des procédures étatiques», soutient maître Marchi. Un arbitrage international en Suisse, initié par Demart, aura lieu début septembre 2002 à Genève, avec un arbitre désigné par la juridiction genevoise, dans le but, toujours selon Demart, de mettre l'Etat espagnol face à ses responsabilités : «avoir confié au président de la Fondation ce qui ne lui appartenait pas». L'affaire, aux relents surréalistes, digne cousine de la Machine à systématiser l'irrationnel, devrait connaître de nouvelles péripéties. On annonce à mots couverts l'irruption d'un héritier collatéral inattendu…


 Muriel Carbonnet
05.06.2002