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Expositions

Joue-nous España !

Manet-Vélasquez : si le titre est trompeur, l’exposition décrit bien la fascination du XIXe siècle français pour l’art espagnol.


Édouard Manet, l'enfant à l'épée,
1861 © The Metropolitan Museum
of Art, New York
PARIS. «L’idée est née il y a sept ans, alors que je travaillais, avec ma collègue du Musée d’Orsay, Geneviève Lacambre, sur l’exposition Millet-Van Gogh», explique Gary Tinterow, conservateur au Metropolitan Museum de New York. «Je souhaite que dans le duel qui oppose actuellement Matisse-Picasso à Manet-Vélasquez, ce dernier l’emporte», renchérit Miguel Salazar, du Musée du Prado. Trois grands musées ont donc agi de concert, pour réaliser cet événement inédit, s’inscrivant dans la mode actuelle des duels de titans. Le titre est trompeur. En fait, si Manet se taille ici la part du lion (un tiers des quatre-vingt-quinze toiles montrées), c’est tout juste si Vélasquez y figure : cinq œuvres de petit format et d’un intérêt relatif. Le véritable sujet traité concerne l’influence du XVIIe siècle espagnol sur le XIXe siècle français. Côté espagnol, on trouve, au début de l’exposition, Zurbaran (dont deux Saint François exceptionnels), Ribera (avec un formidable Saint Sébastien) et Murillo, pour l’essentiel. Côté français, outre Manet, s’affichent Courbet, Delacroix et quelques seconds couteaux, tels Ribot ou Bonnat. Entre les deux, toujours troublants, de très beaux Goya, et un inconnu : Eugenio Lucas Vélasquez (1817-1870). Ses peintures sur fer blanc, longtemps attribuées à Goya, constituent une révélation.

Voyages en zig-zag
«Une véritable révolution du regard», ainsi que le définit Serge Lemoine, directeur d’Orsay, voilà ce qui se produit dans le milieu français au milieu du XIXe siècle. La présentation permet de comprendre combien la collection espagnole du roi Louis-Philippe, présentée au Louvre de 1838 à 1848, suscita chez les jeunes artistes d’alors un engouement furieux pour le clair-obscur, pour une palette déclinant les jaunes, les bruns et les noirs, et pour la manière baroque de composer en zig-zag. Manet, un peu plus tard, fit le voyage à Madrid, dont il revint ébloui. Naquirent alors des chefs-d’œuvre aux noirs épais, mais aussi des espagnolades grotesques, telles que le Portrait de Madame V. en costume d’Espada (1862). Tout comme aimer Tahiti n’a pas fait de Gauguin un Tahitien, adorer Vélasquez n’a pas rendu Manet espagnol.


 Françoise Monnin
24.09.2002