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La charge des 40 000

En quelques décennies, le nombre de monuments protégés a connu une croissance spectaculaire en France. Sont-ils trop nombreux ? La question est posée en filigrane dans un ouvrage qui retrace l’évolution de la notion de patrimoine.

Ils étaient 4000 en 1913, l’année où fut votée la fameuse loi du 31 décembre sur les monuments historiques, qui remplaçait celle de 1887. Ils sont dix fois plus aujourd’hui. Cette inflation, qui avait fait l’objet d’analyses caustiques lors d’un colloque à Chaillot, il y a quelques années, sous la direction de Régis Debray, semble résumer la conception actuelle du patrimoine : de la pierre, et vieille si possible. Il n’en a pas toujours été ainsi : l’auteur rappelle l’importance que revêtaient autrefois les morts et les reliques. On n’hésitait pas alors à raser une église romane pour la rebâtir en gothique, geste qui serait aujourd’hui considéré comme sacrilège. En réalité, le vandalisme qu’avait dénoncé Louis Réau dans un ouvrage retentissant - qu’il soit révolutionnaire, huguenot ou simplement royal (fondre de l’argenterie pour récupérer des espèces trébuchantes) - n’a jamais été aussi aveugle qu’on veut bien le dire.

Le Corbusier au Parthénon
Et si l’élargissement du concept de patrimoine aux biens mobiliers (archives, collections des souverains), et, plus récemment, aux sites industriels ou aux manifestations relevant de l’ethnologie, a été progressif, il serait malvenu d’accuser les générations précédentes d’indifférence. Dès 1535, François Ier, de visite à Nîmes, s’indigne de voir la Maison carrée enterrée. La Révolution - ses destructions mais aussi son rôle dans la conception «nationale» du patrimoine - et la centralisation napoléonienne sont abordées. Mais la Monarchie de Juillet bénéficie aussi d’une attention méritée : c’est avec elle que naît véritablement l’administration des monuments historiques, dont Prosper Mérimée a été l’un des inspecteurs les plus célèbres. La naissance de la Caisse des monuments historiques et du Touring Club de France, la loi sur les secteurs sauvegardés dont Malraux tire une gloire trop exclusive (un théoricien italien, Gustavo Giovannnoni, la défendait depuis longtemps), Le Corbusier rêvant sur le Parthénon avant de produire des plans d’urbanisme dévastateurs : le panorama offert est large et bien brossé. On ne regrette que le traitement un peu rapide des deux dernières décennies avec le succès spectaculaire, après l’année du Patrimoine en 1980, des journées du même nom, devenues une sorte de liturgie nationale. On en revient bien aux reliques…


 Rafael Pic
27.09.2002