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Marché

Paradis artificiels à collectionner

En dispersant une centaine de pipes et d’accessoires, l’étude Poulain Le Fur fait redécouvrir le matériel raffiné des mangeurs d’opium.


Un ensemble d’accessoires de fumeurs.
© Poulain Le Fur.
PARIS. S’il est des termes propices à stimuler l’imagination, celui-ci en fait sans aucun doute partie. Avec le mot «opium» surgissent des images d’une Chine de légende avec ses hommes allongés sur les dures banquettes des fumeries, accompagnés de boys prompts à les aider dans la méticuleuse préparation de l’outillage. Apparaissent aussi des mythes plus européens, ceux des artistes romantiques ou surréalistes, avides de nouveaux instruments d’exploration mentale. À observer la centaine de pipes et d’accessoires de fumeurs mis en vente par deux collectionneurs privés, on comprend que cette part de rêve n’est pas seulement une image d’Épinal. La consommation de l’opium est perçue dès l’origine comme un vice et condamnée publiquement à de multiples reprises dès le XVIIe siècle. Mais c’est aussi un rite raffiné qui doit être empreint de beauté jusque dans ses moindres détails. Même l’outillage le plus rudimentaire, celui qui passe de mains en mains dans les fumeries des pauvres, n’est jamais négligé. Les matériaux qui le composent sont simplement moins précieux et le travail moins délicat, comme le prouvent une pipe en bambou dont le porte-fourneau a été remplacé par un boulon de plomberie, ou une lampe qui était suspendue à une chaîne pour éviter qu’elle ne soit emportée par des clients peu scrupuleux.


Pipe à opium en fonte de verre rouge,
41 cm, estimation : 3 500 / 4 000 €.
© Poulain Le Fur.
Le goût du divin bambou
La plupart des pièces proposées, créées en Chine ou en Indochine au cours du XIXe siècle, sont loin d’être aussi «frustes». Pipes, lampes métalliques destinées à cuire l’opium, aiguilles permettant de déposer la boulette sur le fourneau, ou oreillers pour soutenir la tête des fumeurs appartenaient certainement à de riches consommateurs. Ainsi, le «divin bambou», pourtant vanté pour ses qualités, est parfois abandonné au profit de l’ivoire, de la pâte de verre, de l’écaille ou de la porcelaine. Et, quels que soient les matériaux choisis, le décor fait l’objet d’une importante recherche. Les différents éléments sont ornés de motifs floraux, de symboles bénéfiques - chauve-souris, dragon, sapèque (pièces de monnaie)… - ou d’inscriptions : «La tête sur l’oreiller, nous discutons face à face des affaires du monde. Tirer sur la canne de bambou dissipera vieille et neuve tristesses». Des amateurs les plus dépendants, on tient de véritables «nécessaires» de voyage : pipes en deux parties pour mieux se glisser dans une poche, lampe à huile se dévissant, appuie-tête en corne de buffle se dépliant ou coffrets rassemblant tout ce qui est utile au rituel… Autant de pièces qui devraient exciter l’envie de la poignée de collectionneurs internationaux et intriguer les curieux.


 Zoé Blumenfeld
23.09.2002