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Expositions

Picasso-Matisse, les yeux dans les yeux

Les deux monstres sacrés du Xxe siècle sont mis en parallèle au Grand Palais. Leurs univers se rapprochent parfois mais ne se touchent jamais…


Pablo Picasso, Nature morte au
pichet et aux pommes, 1919,
h.s.t, 65 x 43 cm
© Succession Picasso 2002
La rivalité entre Picasso et Matisse n’a pas été inventée a posteriori. Les deux hommes se connaissaient, se fréquentaient, s’estimaient, mais se jalousaient. Ils avaient déjà décrété, à l’époque du fauvisme et du cubisme, qu’ils étaient les deux grands protagonistes de l’aventure de l’art moderne, à l’époque où Paris était la capitale incontestée de la culture d’avant-garde. Même Apollinaire, lors d’une exposition en 1918, avait entériné cette prise de pouvoir esthétique. Le rapprochement de leurs œuvres respectives, avec des accouplements – par dates, par thématiques, par techniques voire par couleurs - met en évidence une différence savamment entretenue. Jamais leurs chemins ne se croisent, malgré les innombrables déplacements du style du Picasso qui a littéralement dévoré les grandes expériences de son temps. L’exposition débute avec la confrontation de leurs autoportraits, tous deux de 1906. Dès lors, il est patent que leurs recherches prennent des chemins opposés. Chaque salle nous révèle cette tension et ce conflit : quand Picasso peint l’extraordinaire composition des Trois femmes (1908), aujourd’hui à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, Matisse vient d’achever le Nu bleu, souvenir de Biskra. Le premier appartient en plein à la phase inaugurale du cubisme, alors que le second dépasse l’expérience fauve avec l’introduction d’éléments décoratifs et même exotiques, qui resteront la marque de l’entreprise de Matisse. L’audace du premier dans l’art du portrait répond à l’audace du second : le Portrait de Mme Matisse (1913) est tout aussi risqué que le Portrait de jeune fille (1914) où Picasso joue avec toutes les trouvailles de sa période expérimentale et les transcende. Par rapport à l’étape londonienne, à la Tate Modern, la section des dessins a été grandement enrichie. La mise en parallèle permet de voir d’un œil neuf des travaux méconnus. Si l’on avait déjà eu l’occasion de voir les tôles découpées de Picasso, leur opposition avec les papiers découpés de Matisse est très parlante : ou comment deux maîtres dialoguent à distance avec des jeux différents de pleins et de vides…


 Gérard-Georges Lemaire
23.09.2002