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Mélanésie, le monde d'hier

Parti explorer le Pacifique sud dans les années trente, l'ethnologue Bernatzik donne une vision vivante de ses peuples.

Hugo A. Bernatzik (1897-1953) était voyageur dans l'âme. Après avoir sillonné et photographié l'Europe et l'Afrique dix ans durant, il s'aventure en Mélanésie en 1932, où il restera plus d'un an. C'est en ethnologue qu'il va là où peu sont allés - hormis Margaret Mead et quelques autres -, dans les îles Salomon et en Nouvelle-Guinée. Certains se sont attelés à la tache, un peu laborieusement : les indigènes sont figés dans des poses convenues, on remarque bien le détail de leur tenue, de leur coiffe, de leurs bijoux… mais où est la vie ? Bernatzik, photographe autodidacte, a le don de capter l'instant.

Le bon sauvage ?
Les clichés noir et blanc sont présentés en pleine page. Scènes de danses extatiques rituelles, scènes intimes, portraits… Bernatzik s'immisce dans la vie des autochtones. Lors d'une chasse à la tortue sur l'île de Makira, il photographie les plongeons souples, la joie qui explose après la capture de l'animal, la mise dans un enclos fait de branches et de feuillage, la fierté des hommes. À bord d'un lakatoi (bateau utilisé pour le commerce entre les îles, dont la voile a la forme d'une pince de crabe), les corps, dans l'effort, s'étirent pour border la grand-voile. Stoïques, de jeunes guerriers s'enfilent des baguettes dans l'estomac pour tester leur résistance à la douleur, afin de se voir admis dans leur tribu. Les corps sont nus, ils sont beaux : deux jeunes filles s'adonnent à une danse érotique sur le sable, une femme accroupie verse de l'eau sur son nourrisson à l'aide d'une noix de coco, deux garçonnets au dos rond s'épouillent… Ces clichés, d'une grâce ensorcelante, ne sont pas simplement exotiques pour les Occidentaux que nous sommes, ils relèvent à la fois de l'anthropologie visuelle et de la photographie d'art, entre réalité et poésie. À l'image de ceux réalisés dans les années vingt par le Polonais Zagoursky au Zaïre. Ce monde d'hier, sorti des limbes un instant, n'est pas entièrement perdu.


 Nathalie Chevalier
04.11.2002