Accueil > Le Quotidien des Arts > Génération Picabia

Expositions

Génération Picabia

La rétrospective consacrée au plus coquin des artistes modernes montre combien son héritage demeure vif aujourd’hui.


Francis Picabia, Entr'acte
© D. R.
Paris. «Ainsi qu’un homme met le feu autour de lui», voilà comment Picabia disait procéder, en matière d’art, il y a soixante-quinze ans. Formidable provocateur, il ressuscite à présent, grâce à la rétrospective que lui consacre le Musée d’art moderne. Et avec quel panache ! Au fil des salles blanches et des vitrines grises qui présentent son œuvre de manière scrupuleusement chronologique, l’influence exercée par le maître sur bon nombre des plasticiens occidentaux du XXe siècle saute aux yeux. Passons sur les premières toiles présentées, postimpressionnistes, post-fauves ou post-cubistes, scolaires et commerciales. Au début, c’est Picabia, ami de la famille Pissarro et de l’écrivain Apollinaire, qui copie les autres. Mais dès la troisième salle, le voilà seul. Il s’inspire alors de catalogues de mécaniques pour redessiner des pistons, des vrilles, des écrous, en soulignant leur allure sexuelle. Nous sommes en 1915 et les intellectuels parisiens découvrent Freud. C’est froid, drôle. Puis viennent les jeux de mots peints. M’amenez-y, Ratelier d’artiste, Portrait à l’huile de ricin, et aussi M... pour celui qui regarde (1921). C’est l’époque des scandales, du groupe Dada. Tout est dit, en matière d’art conceptuel. Picabia dessine ensuite des décors et des costumes, géométriques et dynamiques, pour les ballets d’Érik Satie et les films de René Clair, avant de s’installer sur la Côte d’Azur et d’y produire des peintures kitsch, inspirées par des cartes postales mièvres et des magazines érotiques. Les couleurs sont acides, la matière, croûteuse, le dessin, sommaire. Picabia se moque du grand art en produisant des images d’infiniment mauvais goût.

Le Casino plutôt que l’Institut
«Je préfère un fauteuil au Casino de Paris à un fauteuil à l’Académie», proclame-t-il dès 1921. Plus que son œuvre peint, caricaturalement libidineux, son travail d’écrivain et d’éditeur permet toutefois de mesurer la dimension poétique, subversive, de son propos : à l’exception de quelques toiles réussies des années 1920 et 1930, constituées de silhouettes très graphiques (inspirées par ses origines origines hispano-cubaines), l’admiration grandissante que l’on éprouve pour Picabia, au fur et à mesure de l’exposition, sourd surtout des pages que l’on lit. Ainsi cette ordonnance, rédigée en 1932 par le Docteur Picabia, «chef de laboratoire de toutes les facultés», qui prescrit une tasse de «bortsch cacodylateasperges phosphoriques à la sauce vierge». «Depuis que je suis fatigué de chercher, j’ai appris à ne rien trouver», avouait Picabia, quelques mois avant sa mort (1953). Certes. Cela ne l’a pas empêché de rudement s’amuser.


 Françoise Monnin
21.11.2002