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Expositions

Masson face à l’origine du monde

Pudique, discret, secret, l’un des maîtres du surréalisme a attaché, comme ses pairs, une dimension particulière à l'érotisme.


Le langage des fleurs, c. 1938,
fusain sur papier, 44,7 x 31,8
cm © Espace Carole Brimaud.
PARIS. C'est ce que montre l'exposition «Le songe érotique», à l'espace Carole Grimaud, qui présente quatre-vingts œuvres sur papier, dessins, encres, gouaches et pastels d'André Masson (1896-1987), couvrant la période de 1923 à 1978, le très beau dessin de 1923 donnant son titre à la présentation. L'accrochage, dense, sur deux étages, est à l'image du foisonnement créatif de l'artiste adoubé par André Breton, qui affirmait que l'érotisme était la clé de voûte de Masson. Mais de quel érotisme s'agit-il ? L’érotisme «cérébral» d'un peintre, intellectuel, ami des plus grands - Lacan, Bataille, Aragon, Leiris, Desnos, Jacob -, nourri au biberon de la mythologie et des références littéraires, dont font preuve les nombreux faunes, Pasiphaé ou autres Ariane accrochés aux murs ? Ou l'érotisme naturaliste d'un dessinateur qui excelle dans les paysages, fleurs et germinations, comme dans Terre érotique de 1937 ?

Bousculer les conventions
Les œuvres présentées ici répondent à toutes ces définitions : on peut voir Primitif, un nu masculin (1947), l'une des deux seules toiles de l'exposition, une très belle encre, Femmes servant de table (1942), qui a servi d'étude à la sculpture du même nom, un bronze (1942), également exposée. Incontournable, Au château de La Coste (1969), feutre et pastel sur papier, est un hommage à Sade. On admirera aussi le célèbre dessin automatique de 1927 -Masson fut le précuseur du genre - et des Bacchanales très enlevées. Le fleuron, c'est incontestablement Loup garou, une encre à la compostion admirable. L'histoire du fameux tableau de Gustave Courbet, L’Origine du monde, est dévoilée ici. Avant d'entrer au Musée d'Orsay, cette toile commandée en 1866 par Khalil-Bey, un riche armateur, était «protégée» par un paysage de neige. La belle-sœur d'André Masson, mariée à Jacques Lacan, en fait l'acquisition vers 1955, et le psychanalyste demande au peintre de réaliser à son tour un panneau pour cacher ce nu incendiaire. Or Masson peint un paysage dans lequel on voit un corps de femme, aussi troublant que ce qu'il est censé cacher. Ce paysage anthropomorphe est dévoilé ici pour la première fois au public. Pour Marguerite Masson, belle-fille de l'artiste, cette histoire résume la philosophie de vie d'un être qui n’a jamais cessé de bousculer les conventions, explorant sans tabous Éros et Thanatos, dessinant aussi bien des anatomies d'hommes et des chevaux que des mantes religieuses, des scènes de sexe, de massacres ou des dessins autour du cérémonial sadien. L'érotisme de celui qui illustra le Con d'Irène de Louis Aragon ne se laisse enfermer dans aucune définition et n'avance pas masqué.


 Brigitte Camus
20.01.2003