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Patrimoine

Royalties dans un jardin français

Selon les tribunaux, le parc de Vaux-le-Vicomte est une œuvre de Le Nôtre… mais également de son restaurateur, Achille Duchêne.

PARIS. La grande broderie du parterre central des jardins de Vaux-le-Vicomte, restaurée à partir de 1918 par Achille Duchêne (1866-1947) d’après la création de Le Nôtre, peut-elle être protégée au titre du droit d’auteur ? C’est à cette question que le tribunal de grande instance de Paris a répondu par l’affirmative par un jugement en date du 10 mai 2002, suite à l’assignation des héritiers Duchêne, opposés à l’utilisation publicitaire, par le joaillier Mauboussin, d’une photographie du parterre. En matière de jardin, la jurisprudence, quasi-inexistante, n’était illustrée que par deux anciennes décisions. L’une constatant le caractère banal d’un jardin, n’avait pas reconnu de droits à son auteur. La seconde, en revanche, a protégé le créateur d’une simple étude paysagère. Ce récent jugement, et c’est là son intérêt, affirme qu’un jardin existant peut être protégé par le droit d’auteur - alors qu’il n’est pas cité dans la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique - et précise les conditions de cette protection. Comme toute œuvre de l’esprit, il doit être une «création originale (…) exprimant de manière incontestable la personnalité de son auteur».

Une création originale
Comment dès lors considérer que Duchêne a fait œuvre d’originalité alors qu’il était chargé de restaurer des parterres détruits au XVIIIe siècle ? Le tribunal a estimé que cette restauration n’était pas «exclusive de création», aucun plan d’époque de Le Nôtre n’ayant été conservé, les autres documents (un dessin préparatoire d’Israël Silvestre et des gravures anciennes dues à Pérelle et de Noilly) étant imprécis. Le paysagiste a pris par conséquent des initiatives personnelles, une pratique habituelle qu’il n’a jamais niée, allant parfois jusqu’à corriger les erreurs de tracé des «anciens». Le tribunal a donc jugé que ce parterre était une création originale justifiant une protection au titre du droit d’auteur, même si il a été réalisé «conformément à ce qui (...) avait été demandé et aux contraintes historiques de styles». Photographe (David Lachapelle studio), publicitaire (la société FCB) et annonceur ont été condamnés. Une incitation à la prudence lorsque l’on sait qu’Achille Duchêne a également restauré les grands jardins historiques de Champs-sur-Marne, Courances et Balleroy…


  Sophie Flouquet / Allan Caroff
(avocat au barreau de Paris)
29.01.2003