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Expositions

Dereux le bienheureux

Graines, épluchures, pelures : l’artiste a inventé un art écologique avant l’heure.


Les bandeaux, 1976.
© David Damoison, Halle
Saint-Pierre.
PARIS. «Du chocolat ! Des bonbons !» L’enfant qui dit cela n’a pas trois ans. En regardant les œuvres exposées, il ne se trompe presque pas : l’ensemble, pratiquement, est constitué de matières quasiment comestibles : rien que des graines et des épluchures, collées, représentant des constellations ou des foules. Par dizaines, des panneaux ainsi constitués, datés du début des années 1960 à la fin des années 1990. Ils sont présentés dans l’ambiance caverneuse - chère aux amateurs d’art brut - du rez-de-chaussée de la Halle Saint-Pierre : murs noirs, aucune fenêtre, éclairage électrique violent dirigé sur chaque œuvre. Excité, l’enfant échappe aux bras de son père et trottine d’une œuvre à l’autre. «Bonjour Madame Potiron ! Toi, t’es poilue !» Philippe Dereux, décédé il y a un peu plus d’un an, à 73 ans, aurait été heureux de se voir ainsi, enfin, célébré. Pendant presque cinquante ans, ce fils de brodeuse, devenu instituteur à Villeurbanne, a en effet écrit, peint et collé, quasiment dans le secret. Son journal ? Intitulée L’enfer d’écrire, sa première partie, publiée en 1955, n’intéresse personne. Ses peintures ? À part l’artiste Dubuffet, dont Dereux est l’assistant de 1955 à 1963, nul ne les regarde, avant les années 1980.

Les cosses, les nèfles, les épines...
Après avoir chassé des papillons - 3 000 - et collé des éléments botaniques, pour le compte de l’inventeur de l’expression «art brut», Dereux s’est lui aussi jeté dans la création plastique. Avec un sens inné de la couleur et du rythme, une manière instinctive d’utiliser la symétrie, les pointillés et les cernes concentriques, il a imaginé des compositions à la gouache, dignes d’un décor de fête foraine ou de temple hindou. Puis, sont arrivées les pelures d’orange, de pommes de terre, de tout... Rien que des restes ! Soigneusement séchés avant d’être collés, enjolivés de gouache parfois, ils constituent des réseaux abstraits infiniment poétiques, puis des portraits aux yeux écarquillés, aux silhouettes de dessins d’enfants. La gouache a disparu. Les épluchures aussi. Sont apparues les graines, les cosses, les nèfles, les épines... Toutes superbes et symboliques. Toutes chargées d’animisme. «En utilisant les écailles de pommes de pin, si belles sur le parking de Vence avec leurs deux signes blancs pareils à des yeux, mais écrasées par les voitures, balayées avec mépris par les cantonniers, je les sauve de la destruction. C’est un bonheur pour moi», notait Dereux, en 1986. L’exposition est un bonheur pour nous, à présent.


 Françoise Monnin
13.02.2003