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Grandeur et misère de la Casati

Une étude - qui prend parfois des allures de chronique mondaine - évoque la sulfureuse égérie de la Belle Époque.

La Casati : les auteurs le soulignent jusque dans le choix du titre, la marquise Casati (1881-1957) était une diva. Et, comme toute diva qui se respecte, l’excentricité était l’une de ses vertus cardinales. Qui se souvient aujourd’hui des fêtes inouies qu’elle organisait au Palais rose du Vésinet ou au Palazzo Venier de Venise ? Elle descendait les marches, vêtue de plumes ou nue sous son boa (un vrai serpent…), tenant un guépard en laisse, escortée de colosses nubiens couverts de poudre d’or. Une pluie de pétales de rose tombait sur le sol d’albâtre, éclairé par en-dessous. Toutes ces réceptions somptueuses, qui fascinèrent Robert de Montesquiou ou Kees van Dongen, sont décrites par le menu. À la Belle Epoque, la Casati, que l’on considérait comme la femme la plus riche d’Italie - son père était l’un des grands industriels textiles d’Italie du Nord - pouvait louer pour ses besoins la place Saint-Marc de Venise. Cette rubrique mondaine, nourrie, dans la grande tradition anglo-saxonne, par des entretiens avec les témoins survivants (les dates étant toujours mentionnées en notules) permet de dispenser quelques anecdoctes croustillantes. Les esclaves nubiens sont-ils décédés, étouffés par la poudre d’or ? La marquise, adepte de la magie noire, faisait-elle empailler ses amants ? Mais ces exploits, répétés jusqu’à en donner le tournis, ne donnent en définitive que l’image d’une femme frivole, à l’égotisme démesuré, et terriblement seule. Demeure le mystère de sa fascination sur les grands artistes, qui n’est pas explicité autant qu’on l’aurait souhaité. Elle qui ne s’est jamais trouvée au cœur de véritables cénacles, comme Misia Sert, elle qui n’a pas été une créatrice, comme Isadora Duncan, elle qui n’était pas même belle - trop maigre, osseuse, avec une bouche chevaline et d’immenses yeux inquiétants, qu’elle aspergeait de belladone - comment réussit-elle à être la muse d’innombrables artistes ? Défilent, à travers les pages, le portraitiste mondain Boldini, le futuriste Balla, le grand séducteur Augustus John mais aussi D’Annunzio, Bakst, qui lui dessinait ses robes, Man Ray à ses premières armes, ou Maurice Druon. Tous l’ont immortalisée en déesse noire, macabre, hiératique. Totalement ruinée, attifée de ses peaux de panthère désormais râpées, les yeux noircis au cirage à chaussure, la Casati meurt à Londres. Ce sera l’affaire d’un Londonien de la ressusciter : en 1998, John Galliano lui dédie sa collection de haute couture pour Dior.


 Rafael Pic
06.02.2003