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Guernica non grata

Aux Nations Unies, la tapisserie inspirée du tableau de Picasso est devenue un symbole encombrant.

NEW YORK. «S’il y a une guerre avec l’Irak, elle a déjà fait au moins un mort : l’art», écrivait Peter Goddard dans Toronto Star, le 6 février 2003. Il faisait allusion au curieux traitement réservé à la copie du chef-d’œuvre de Picasso. Cette tapisserie en taille réduite, offerte à l’ONU par les héritiers de Nelson Rockefeller, est accrochée à l’entrée du Conseil de Sécurité. Lorsque Colin Powell a délivré son message sur les «indices» le 5 février, l’œuvre a été pudiquement recouverte du drapeau d’azur de l’ONU. En ces temps de préparatifs belliqueux, Guernica est décidément trop parlant… C’est ce que se sont dit, en sens inverse, les cent cinquante employés du Musée Reina Sofía de Madrid, qui conserve l’original. Ils ont manifesté le 6 février avec une grande pancarte reproduisant le tableau, barrée d’un «No a la guerra» en grosses lettres rouges.

Betsy Pisik, du Washington Times, remarque que Guernica a été voilé lundi 27 et mercredi 29 janvier, lorsque le Conseil a discuté de l’Irak puis dévoilé mardi 28, jeudi 30 et vendredi 31 lorsque les diplomates se sont occupés de l’Afghanistan ou du Liban… Les services de presse de l’ONU ont justifié cette mesure par la nécessité d’offrir un fond d’écran uni aux télévisions du monde entier. Il est permis d’en douter. Si Guernica dépeint l’horreur de toute guerre, cette immense composition sans couleurs a été motivée par un «blitz» meutrier : le pilonnage, sans motif apparent, de la ville basque du même nom par l’aviation allemande le 26 avril 1937. Les similitudes avec les «frappes chirurgicales» annoncées ont un je ne sais quoi d’embarrassant. On se souvient que le ministre de la Justice, John Ashcroft, a récemment occulté, dans son bureau, les seins trop voyants d’une statue. En ces temps troublés, on est tout heureux de voir que l’art conserve sa charge subversive.


 Rafael Pic
15.02.2003