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Marché

Les jeunes Anglais sur le toit du monde

Saatchi deus ex machina

Il y a dix ans, la renommée des Young British Artists - un groupe qui comprend un nombre variable de créateurs s’exprimant par l’ensemble des médiums : peinture, sculpture, photographie ou installations - ne dépassait pas les cercles d’initiés londoniens. Aujourd’hui, grâce au prosélytisme très efficace de leurs principaux mentors, le galeriste (et publicitaire de renom) Charles Saatchi et son confrère Jay Jopling, animateur de la White Cube Gallery, elle est planétaire. Les « YBAs » ne passent plus que dans les grandes salles de ventes, à New York ou à Londres. Un chiffre est parlant. En 1992, God, une installation de Damien Hirst était ravalée à 4 000 £ à Londres. Six ans plus tard, elle était emportée à 170 000 £. Miser sur les « YBAs » s’est révélé une bonne affaire : 100 euros investis en 1998 en valent 177 cinq ans plus tard, soit nettement plus que le rendement moyen du marché de l’art. Une montée en puissance matérialisée par les résultats du premier semestre 2002. Sur les dix plus hautes enchères d’art contemporain dans le monde, cinq sont à porter au compte de la nouvelle avant-garde britannique. Mais Damien Hirst (né en 1965) n’en apparaît plus forcément comme le pape indéboulonnable. S’il conserve à son actif le record du groupe - près de 800 000 € pour In Love - Out of Love en 1998 - il est suivi de près par sa cadette Jenny Saville (née en 1970), dont les peintures de facture classique ne cessent de progresser. C’est sa Figure 11.23 qui a été la meilleure vente du premier semestre 2002, à 526 752 € le 14 mai dernier à New York. Mais Hirst et Saville ne sont pas seuls. De belles performances sont à mettre au crédit de Rachel Whiteread (cinquième enchère de la saison), dont les sculptures sont pourtant peu maniables, de Chris Ofili (huitième) ou de Gary Hume (dixième), dont la cote pourrait être encore «dopée» par sa récente rétrospective à la galerie White Cube. On suivra également avec attention Catherine Yass, remarquée lors du dernier Turner Prize.

Ces chiffres portent exclusivement sur les œuvres originales de notre sélection d’artistes, enregistrées par artprice.com, adjugées en ventes publiques au prix marteau. Cette sélection de 45 artistes comprend notamment Richard Billingham, les frères Chapman, Tracey Emin, Marcus Harvey, Damien Hirst, Gary Hume, Sarah Lucas, Chris Ofili, Marc Quinn, Fiona Rae, Jenny Saville, Sam Taylor-Wood, Gavin Turk, Rachel Whiteread et Catherine Yass.

Repères
1984 : création du Turner Prize.
1988 : «Freeze», première exposition collective des Young British Artists, à Londres.
1995 : Turner Prize à Damien Hirst.
1997 : l’exposition «Sensation», à Londres, attire 300 000 visiteurs.
1999 : le maire de New York, Rudolph Giuliani, condamne l’exposition «Sensation», qui se tient au Musée de Brooklyn.
2002 : Turner Prize à Keith Tyson.

Hirst en tête d'affiche

Trois questions à Grégoire Billault, de Sotheby’s

De quand date l’affirmation des YBAs en salles des ventes ?
Grégoire Billault.
Lors de la première exposition, «Freeze», montée par Damien Hirst lui-même en août 1988, où il y avait déjà des artistes comme Gary Hume, Sarah Lucas ou Fiona Rae, leurs œuvres ne valaient pas grand chose. Puis l’intérêt de Saatchi a fait monter les prix. La vente de la collection du Boston Children's Heart Foundation en 1997 chez Sotheby's à New York, première vente aux enchères de jeunes artistes, est significative à cet égard : la sculpture de Rachel Whiteread, Untitled, Double Amber Bed, estimée 30 000 à 40 000 $ ss’est vendue 167 500 $, établissant un nouveau statut pour toute une génération.

Y a-t-il un leader ?
G. B.
Damien Hirst est le leader incontesté. La plus haute enchère du groupe est à son actif : 788 997 € chez Philips en 1998 pour In Love - Out of Love. Même actuellement, dans un marché plus difficile, ses œuvres se vendent bien. Nous avions il y a quelques jours un petit Butterfly Painting, estimé entre 130 000 et 180 000 £, qui s’est vendu 151 200 £. Christie’s avait un autre Butterfly Painting plus grand, estimé entre 150 000 et 200 000 £, qui a été adjugé 239 000 £. Derrière Hirst, on assiste régulièrement à une redistribution des cartes. Les frères Chapman, qui étaient au plus haut en 1998-2000, ont été beaucoup réévalués. En revanche, Jenny Saville, qui fait partie des plus jeunes du groupe, est très recherchée car très peu de tableaux d’elle passent en vente chaque année.

Est-ce un marché typiquement britannique ?
G. B.
Pas du tout, c’est un marché mondial. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on ne voit pas passer de YBAs chez les commissaires-priseurs français. Leurs propriétaires préfèrent les proposer à New York ou à Londres. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’intérêt en France. Des pièces très importantes de Hirst sont dans des collections parisiennes.


 Rafael Pic
05.03.2003