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Marché

Carolus Duran, de l’avant-garde à l’académisme

«Carolus-Duran, ce serait un peu le Manet du pauvre... »


Portrait de Mme Alice Hoschède,
huile sur toile. © Sotheby's.
Carolus Duran, une denrée rare
Fils d’aubergistes, Charles Durant s’installe à Paris dès 1855. Dans une situation économique difficile, il reçoit le soutien de son compatriote lillois, le critique Zacharie Astruc. Au Louvre, où il se rend pour «copier les chefs-d’œuvre, dessiner les antiques… et se chauffer par dessus le marché», il fait une rencontre décisive : celle de la peinture espagnole. Depuis 1838, le milieu artistique parisien est en effet sous le choc de la nouvelle galerie inaugurée par Louis-Philippe où sont présentés cinq cents tableaux de Vélasquez, Zurbaran, Greco ou Goya.
À l’époque, il rencontre Édouard Manet à l’Académie suisse, fréquente Alphonse Legros ou James Whistler dans des cafés parisiens. Pourtant, une certaine reconnaissance fait déjà diverger leurs parcours. Carolus Duran - c’est le nom qu’il adopte progressivement - expose au Salon des artistes français quand certains de ses amis y sont refusés. Il remporte un prix qui lui ouvre les portes de l’Italie. En 1869, alors qu’il connaît le succès avec la La Dame au gant, il est médaillé pour une petite gouache… Le passeport pour exposer au Salon sans passer devant un jury.
Après la guerre de 1870, sa notoriété ne cesse de croître, l’entraînant pas à pas vers une consécration officielle. Récompensé pour son œuvre, fait chevalier puis commandant de la Légion d’honneur, nommé à la tête de la Société nationale des beaux-arts, il est sollicité pour réaliser les portraits flatteurs d’hommes célèbres, de femmes du monde ou de jeunes enfants.
Tous les ans, moins de dix œuvres de Carolus Duran passent aux enchères. Il s’agit pour la plupart de peintures, même si apparaissent parfois des œuvres sur papier, comme la Femme en blanc avec un éventail adjugée 7 681 € par Sotheby’s, au mois d’octobre dernier. Lors des ventes, organisées aux États-Unis, en France ou au Royaume Uni, le taux d’invendus est globalement élevé, situé entre 40 et 50%. On note également la grande amplitude entre les prix records atteints par des tableaux rares et d’autres, plus courants. Durant les dix dernières d’années, les neuf plus fortes adjudications passent ainsi de 67 006 € pour le Portrait de Madame Alice Hoschede, proposé en mai 2000 par Sotheby’s, à 10 671 € pour une Grande Étude de nu, vendu par Delvaux à Paris en mars 2001.

«Le génie de la composition fait la différence»
François Lorenceau, Galerie Brame et Lorenceau, Paris

Peut-on parler d’une cote des œuvres de Carolus Duran ?
François Lorenceau.
Les cotes, il n’y en a pas. Sur un artiste comme Verdilhan peut-être que cela serait possible, mais pour Carolus Duran, cela n’a pas de sens. Il y a très peu de transactions, une très grande proportion d’invendus, des tableaux qui passent de nombreuses fois en vente avant de trouver un acheteur. Et puis, on trouve peu de beaux tableaux pour beaucoup de moches ! Si on veut donner un ordre de grandeur, les tableaux de Carolus Duran se vendent entre 5 000 et 40 000 €. C’est le génie de la composition qui fait la différence…

Ce «génie» correspond-il à une période particulière dans sa carrière ?
F. L.
Oui. En fait Carolus Duran est un peintre mondain. Mais avant de réaliser ces portraits de commande, exécutés de manière «facile», il a commencé dans un cercle d’artistes relativement novateurs - c’est notamment un ami de Manet -, en faisant des portraits de ses camarades et des natures mortes. Entre 1865 et 1882, si on est un peu souple, on retrouve des compositions «à la Manet» dans ses œuvres. Comme chez Manet ou John Singer Sargent - qui a peint son portrait en 1879 -, ses fonds sont toujours largement brossés dans des tonalités de gris, de rouge ou de vert. Mais ses tableaux sont toujours plus «accessibles», car il y a un élément joli, charmant : un petit chien, un bouquet, un large chapeau… Carolus Duran, ce serait un peu le Manet du pauvre !

Trouve-t-on encore des tableaux de ces débuts sur le marché ?
F. L.
C’est très difficile. La trentaine d’œuvres que nous exposons, parallèlement à la rétrospective du musée de Lille, ne sont d’ailleurs pas mises en vente. Elles proviennent de collections privées et de quelques musées. Mais, si par un coup de baguette magique des tableaux tels que La Femme au gant du Musée d’Orsay passaient en vente, ils battraient tous les records. Car même si cela n’est «que» Carolus Duran, cela reflète l’esprit, la manière des amis de ses débuts. Carolus Duran n’est pas un suiveur. Il est de l’époque !

Biographie
1837 : Charles Durant naît à Lille.
1855 : s’installe à Paris.
1859 : participe pour la première fois au Salon des artistes français.
1861-1867 : séjourne en Italie puis en Espagne.
1869 : médaillé au Salon, il est exempté de jury.
1872 : ouvre un atelier.
1917 : meurt à Paris.


 Zoé Blumenfeld
18.03.2003