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Expositions

Secouer nos idées noires

«Depuis 1965» est la première grande exposition consacrée à l'œuvre d'Adrian Piper en Europe.


Adrian Piper, It Doesn't
Matter # 1-3
, 1975.
© Adrian Piper.
VILLEURBANNE. Après Rita Mc Bride, l'Institut d'art contemporain poursuit son exploration de quelques figures majeures de l'art actuel. Méconnue en France, Adrian Piper a pourtant traversé et marqué un grand nombre de courants artistiques récents. Artiste conceptuelle de premier plan dans les années 1960, elle quitte la sphère purement esthétique, dès 1972, pour aborder des problématiques sociales et politiques. La jeune femme, née à New York en 1948, se livre alors à de nombreuses performances dans des lieux publics (errant dans un restaurant les yeux, la bouche et les oreilles obstrués, ou assise dans un bus avec un chiffon dans la bouche...). Elle devient, à partir des années 1980, une véritable icône des luttes pour la minorité noire aux États-Unis. Ses installations et interventions sondent les origines du racisme et de la xénophobie, mais aussi les fondements et la complexité de l'identité humaine en général. Aujourd'hui plus en retrait, l'artiste se consacre à la méditation et au yoga, et peint des séries de «vitraux».

Je est un autre
L'exposition invite à parcourir de manière chronologique une œuvre hétéroclite et prolifique. La scénographie, sobre et classique, s'avère parfois un peu austère (archives et longs textes didactiques). On passe rapidement des dessins abstraits et des carnets conceptuels à une salle retraçant ses premières performances sous forme de séries photographiques. On découvre ensuite une œuvre éclatée multipliant les formes et les supports : autoportraits en images ou en textes, collages, vidéos, roman-photo, détournement d'annonces publicitaires, cours de danse funk etc. Adrian Piper, blanche d'apparence mais noire de par ses origines, se prend souvent elle-même comme matériau de réflexion. Elle campe des personnages parodiques comme ce fumeur de cigares «rasta» et intello dans la série It Doesn't Matter. Dans un autre registre, ses «installations immersives», petits espaces clos, confrontent directement le spectateur à des situations scandaleuses ou à des stéréotypes, au moyen d'images et de bandes sonores. L'art politique d'Adrian Piper, sans fioritures ni concessions, parfois de manière un peu simpliste, bouscule notre bonne conscience.


 Jean-Emmanuel Denave
27.03.2003