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Expositions

Derain, au bout du cubisme

L’exposition de l’Ermitage montre l’extraordinaire fidélité de l’artiste au mouvement lancé par Braque et Picasso.


Femme au long cou, 1938-1950
© D.R. / Fondation de l'Hermitage
LAUSANNE. Pour le commissaire, Rudolf Koella, plutôt que d’une rétrospective, il s’agit de mettre l'accent sur quelques moments particuliers du travail de Derain. Il montre par exemple son évolution vers cette forme de peinture qu'on a qualifié de «fauve» à tort ou à raison, avec l'étrange Poupée (1904) et les scènes d'intérieur des années 1904 et 1905. Quelques paysages de l'Estaque de 1905 illustrent cette transition vers un univers chromatique émancipé. L'impressionnant lit en bois sculpté, réalisé pour Ambroise Vollard, où l'on voit en bas-relief une figure de femme-serpent, met en évidence son attirance pour le primitivisme (il a été l’un des premiers collectionneurs d’«art nègre») et sa dette à l'égard de Gauguin.

La sortie du purgatoire
Les deux versions de la Maison à Cagnes (1910) mettent en valeur sa conception du cubisme, qui ne se radicalise pas comme celle de Picasso et de Braque à la même époque. Après avoir tenu le rang de précurseur, Derain prend conscience de ne pas devoir aller plus loin. La Nature morte au pichet (1912) ou la sanguine de la Nature morte à la pipe (vers 1911) démontrent qu'il a défini sa propre conception du cubisme, aboutissant à la singulière Femme au châle (1913) qui, dit-on, lui a été inspiré par Le Greco. À la différence de Picasso, il n'effectue pas de retour au néoclassicisme, ni n'épouse les modes de son temps mais poursuit un travail toujours dérivé du cubisme, comme on peut le voir dans le Portrait d'Alice Derain au châle blanc (1919-1920). André Derain a payé très cher le voyage accompli en Allemagne en novembre 1941 avec Vlaminck, Friesz, Van Dongen et quelques autres. Et il paie encore cette faute de manière posthume : derrière ses périodes fauve et cubiste, le reste de son œuvre est demeuré dans une sorte de purgatoire. Le commissaire a donc choisi de mettre également l'accent sur ses grands tableaux figuratifs, souvent méprisés, telle la Nature morte à la corbeille d'osier (1948-1950), et sur l'œuvre d'inspiration primitive réalisée après la dernière guerre, avec ces nombreuses sculptures de «masques», qu’il n’avait jamais montrées et qui n’ont été coulées en bronze qu’après sa mort.


 Gérard-Georges Lemaire
01.04.2003