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Patrimoine

Bienvenue au club

Plus que centenaire, le fauteuil club est toujours autant en vogue.


© Denise Bourbonnais
Il est indémodable depuis qu’il est sorti de l'ombre des clubs anglais, interdits aux dames, où se prélassaient les gentlemen en attendant la fin du règne féminin le plus long de l'histoire de Grande-Bretagne (1837-1901). Dans son habit de cuir qui ne prend pas l'odeur de fumée, ce fauteuil à pieds très courts permet l'extension des jambes, avec des accotoirs à hauteur d'épaules. Il s'apparente aux sièges capitonnés présentés à l'exposition de Londres en 1851 dans la catégorie des «chauffeuses». En France, un même type de fauteuil «coin du feu», parfois dénommé «Victoria», apparaît à la fin du XIXe siècle. Le catalogue de Saint-Étienne de 1910 le désigne sous l'appellation de «siège anglais». D'autres fabricants les nomment «fauteuil confortable». S'inspirant du même genre, le décorateur-ensemblier Jacques-Émile Ruhlmann (1879-1933) dessine en 1916 une «bergère surbaissée» couverte de cuir, proche des modèles anglais, mais d'une construction plus cubique. D'autres concepteurs produisent des fauteuils de même inspiration, caractérisés par un revêtement de cuir fixé par une ligne de clous dorés sur une carcasse le plus souvent en hêtre, quelquefois en chêne, ou encore en sapin pour les sièges de série qui se répandent alors dans le faubourg Saint-Antoine.

Des créateurs de talent
En 1926, Ruhlmann présente au Salon des arts décoratifs un lourd fauteuil «éléphant noir» où le dossier arrondi surmonté d'énormes accoudoirs rebondis dont les courbes sont soulignées d'un filet clair. L'année suivante, Ruhlmann, qui assure une partie de la décoration du paquebot Île-de-France, place dans les salons un type de fauteuil plus léger avec un dossier carré. De 1930 à 1940, de nombreux créateurs de talent font aussi des clubs désignés sous des noms fantaisistes, notamment Francis Jourdain, Jacques Adnet qui travaille pour les Galeries Lafayette, Pierre Chareau, Jean-Michel Frank… Vers 1935, le dossier qui tend à s'incliner en arrière prend une forme de chapeau de gendarme, puis se courbe en accolade, appelé parfois «style moustaches». Tous ces fauteuils en quête de confort sont bâtis sur le même modèle par assemblages vissés. L'assise de cuir est soutenue par des ressorts ficelés, recouverts par un volume de crin. Un gros coussin amovible moins glissant que le cuir rehausse souvent l'assise. Les pieds arrière sont légèrement inclinés «en sabre». Certains modèles n'ont pour pieds qu'une galette de bois ronde ou carrée. D'autres reposent au sol sur une traverse basse. Les cuirs les plus employés sont le box brun ou havane, le chevreau ou le buffle, plus épais.

Le club passe la Manche
C'est peu de temps avant la Seconde Guerre mondiale que les antiquaires adoptent enfin le mot «club». Dans les années 1950, après une période de pénurie où les tissus se substituent au cuir et la mousse synthétique au crin, le terme se généralise pour tous ces fauteuils aux lignes géométriques qui ne cessent de plaire pour leur style comme pour leur confort. Quand la télévision s'impose à partir des années 1960, les clubs font figure d'antiquités qui méritent d'habiles restaurations. La peau de mouton tannée, ou basane, est le cuir le plus employé. Dans les brocantes, les clubs retapés se vendent valent à l'unité de 1 200 à 2 000 €, et de 3 000 à 4 000 € la paire. En salle des ventes, les prix de base sont du même niveau, selon l'état. Les clubs attribués aux grands stylistes tels que Dupré-Lafon, Jean-Michel Franck, Jules Leleu ou Jean Pascaud se vendent, «gainés à neuf à l'identique», de 8 000 à 30 000 €, et davantage encore pour Ruhlmann, le dieu de l'Art déco.


 Jean Bedel
02.04.2003