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Politique culturelle

Un nouveau droit pour les artistes

Une récente décision de la Cour de Cassation pourrait compliquer la tâche des organisateurs d'expositions comme des galeristes.

Si les écrivains ou auteurs de chansons perçoivent des droits sur chaque vente de leurs livres ou passage de leurs titres à la radio, l’auteur d’une œuvre graphique, photographique ou plastique a beaucoup moins d’occasions de faire rémunérer son travail. Une fois l’acheteur parti avec la toile ou le tirage photographique, l’essentiel de la source de revenu attachée à cette œuvre s’épuise.

Certes, la loi dispose que la propriété matérielle du support n’entraîne pas la propriété des droits d’auteur qui y sont attachés. En ce sens, un peintre ou un photographe, sans même avoir à en informer les propriétaires, peut concéder à des tiers le droit de reproduire des œuvres pour une campagne de publicité par exemple. Hormis le cas des plus célèbres comme Picasso, on constate cependant que ce type de revenus dérivés n'est pas généralisé.

Par ailleurs, si les auteurs d’œuvres graphiques et plastiques bénéficient du droit de suite de 3% du montant de chaque revente de leurs œuvres, l'application en est limitée aux ventes aux enchères et pour les ventes supérieures à environ 535 euros.

Une récente décision de la Cour de Cassation du 6 novembre 2002 contribue à la reconnaissance d’une autre source de revenus pour ces auteurs : le droit d’exposition.

Dans l’affaire dont elle était saisie, la cour suprême a reconnu l’Association Paris Bibliothèque coupable de contrefaçon pour avoir exposé du 24 juin au 29 septembre 1996 au cours de l’exposition « Le cabaret théatre 1945-1965 », six photographies de M. Georges Dudognon sans son consentement. L’association sera donc tenue d’indemniser l’auteur du préjudice patrimonial subi (évalué à près de 18.000 euros par la Cour d’appel de Paris dans sa décision du 20 septembre 2000).

Il ne s’agit pas d’un nouveau droit d’auteur que les juges brandissent à la surprise générale. Il ressort des termes de l’article L 122.2 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) qui définit le droit de représentation, lequel constitue (avec le droit de reproduction) l’un des deux droits patrimoniaux de l’auteur. Cette définition consiste en une liste non exhaustive de procédés de représentation publique parmi lesquels la récitation publique, la projection publique ou de façon plus vague la présentation publique d’une œuvre. En somme, les juges ont profité de l’occasion pour affirmer clairement que l’exposition d’une œuvre au public est un procédé parmi d’autre de présentation publique au sens du CPI. Ils lèvent ainsi toute incertitude sur la validité de ce droit d’exposition.

Implications pratiques
Les implications pratiques de cette décision sont importantes, car elle ouvre la porte à de multiples revendications d’artistes ou d’ayant-droits auprès des propriétaires d’œuvres les exposant au public. On ne peut que recommander notamment aux musées, galeries et mécènes de prendre l’initiative et de prévoir dorénavant expressément dans les contrats d’acquisition d’œuvres le transfert du droit de les exposer.

Si un courant de la doctrine considère que l’acquisition d’une œuvre en vue de l’exposer au public ou de la revendre emporte tacitement transfert du droit d’exposition ( même si le contrat d’acquisition ne le prévoit pas expressément ), il est difficile de prédire si cette position serait désormais accueillie par les juges.

Rapport de force inégal
Reste qu’il est permis de s’interroger sur le comportement futur des auteurs ou ayant-droits. Prendront-ils le risque de faire valoir ce droit d’exposition à l’égard des acheteurs dans un contexte ou les opportunités d’exposer sont déjà bien limitées ? Fait révélateur, l’ADAGP (Société des Auteurs dans les Arts Graphiques et Plastiques), ne dénombre à ce jour aucune revendication de la part d’auteurs depuis cette décision.


 Yann Queinnec
Landwell & Associés - Avocats
25.04.2003