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Les nouveaux mystères de Bagdad

Si l’affaire n’était pas aussi tragique, on pourrait dire que le Musée de Bagdad participe lui aussi au Printemps des musées, sur le thème « Mystères et découvertes ».

Après que l’imperturbable secrétaire à la défense David Rumsfeld eut comparé les pillages du 10 avril à ces incidents qui se produisent inéluctablement lors des matches de football, la Maison Blanche considérait comme « malheureux », huit jours plus tard, le sac du Musée de Bagdad. Après une nouvelle semaine de réflexion, le président Bush allait jusqu’à le qualifier de « terrible »à la NBC. Entre temps, le très respecté président du Comité consultatif présidentiel pour les affaires culturelles, Martin Sullivan, avait démissionné avec un certain nombre de ses collègues, en soulignant que cette tragédie était prévisible, et qu’elle pouvait être empêchée dans le cadre d’une guerre décidée et préparée par les Etats Unis. Les autorités américaines ont alors multiplié les déclarations énergiques et les mises en garde aux « voleurs », enrôlé le FBI et Interpol, tandis que l’UNESCO et la communauté internationale des archéologues se mobilisaient..

« Les voleurs n’échapperont pas à la justice » prévenait, à l’issue de la réunion d’Interpol du 6 mai à Lyon, le ministre américain de la justice, en affirmant que les objets seraient retrouvés, avec la même certitude de succès que celle affichée par d’autres pour les armes de destruction massive. Il est clair que les chances d’aboutir sont d’autant plus grandes que l’on a dans ce cas la preuve que ces objets ont existé. Il y a toutefois dans cette affaire des certitudes, des interrogations et des mystères, alimentés par de nouvelles découvertes chaque jour.
Certitude, la protection des musées de Bagdad figurait en première ligne, immédiatement après la Banque centrale et bien avant le Ministère du pétrole, sur les instructions données par le Bureau de la reconstruction en Irak, à l’issue des réunions tenues avec les archéologues à Washington. L’armée n’en a pas tenu compte et il ne semble pas, d’après ses réactions tardives, que son commandant en chef - président ait su qu’il y avait là trois millénaires de l’histoire de la Mésopotamie et du monde.
Autre certitude, d’Interpol à tous les services de contrôle du commerce international, des mesures se mettent en place maintenant pour tenter de récupérer ce qui a été perdu. L’Unesco, dont une mission va partir à Bagdad, et les archéologues unissent leurs efforts pour essayer d’établir un inventaire des objets disparus.
Quasi certitude, les vols ont été le fait de bandes spécialisées suivies par des pilleurs ordinaires qui ont autant brisé qu’emporté pendant les six jours. où le musée est resté sans protection. La nature des objets volés et les conditions de leur récupération différeront d’autant.
La grande interrogation porte sur le contenu du Musée lors des faits. Y avait-il les 170000 objets dont on parle? A la suite des pillages commis pendant la première offensive américaine en 1991, les collections des musées régionaux avaient été largement rapatriées sur Bagdad ce qui augmenterait d’autant les risques. Mais dans le même temps il semble que bien avant le début des hostilités, les objets les plus précieux aient été mis en lieu sûr, y compris peut-être chez le raïs, et que les conservateurs en aient de leur côté caché beaucoup d’autres. Seules les pièces les plus lourdes n’avaient pu être emportées. C’est ce qu’a confirmé le Directeur des collections du Moyen-Orient au British Museum, de retour de Bagdad, en ajoutant que lorsqu’il y aurait à nouveau un ministre de la Culture et un climat de confiance les langues se délieraient et les objets seraient retrouvés.
Effectivement, les exhortations des imams et les menaces et récompenses aidant quelques centaines de pièces ont été rendues par les pilleurs ordinaires. Un communiqué triomphal des douanes américaines confirme la récupération de 700 pièces et 39400 manuscrits en reconnaissant que la route sera longue A suivre donc, au jour le jour.
Une autre certitude. On va à nouveau entendre parler de ces collectionneurs pilleurs qui sont déjà implicitement accusés par certains d’avoir provoqué le pillage par leur passion dévorante et qui ne deviennent honorables que lorsqu’ils lèguent leurs collections aux musées. D’Unidroit aussi bien sûr. Et ce climat tragique n’aidera pas à l’impartialité du débat. Un autre dommage collatéral ?


 Danielle Arnaud
10.05.2003