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Musées

Les Balkans sont entrés dans Vienne

L’iconoclaste commissaire Harald Szeeman cherche à l’est le futur de l’art européen.


Biljana Djurdjevic, Dentiste Society,
1996/1998
© Biljana Djurdjevic
VIENNE. « Blut & Honig » : le sang est autrichien et le miel turc. C’est à Vienne - plus exactement à Klosterneuburg, en banlieue de la capitale autrichienne, dans le magnifique musée privé construit par le grand collectionneur Essl - que l’infatigable prospecteur d’art qu’est Harald Szeemann a choisi de montrer, sous ce titre, un panorama très large de l’art contemporain dans les Balkans. Soit soixante-treize artistes, venus de treize pays différents. Le choix de Vienne n’est pas anodin… Vienne, autrefois centre d’un immense empire s’étendant au sud jusqu’en Bosnie. Vienne, limite occidentale des désirs d’extension ottomans, puisque, en 1684, les Turcs durent finalement y capituler devant les Autrichiens – sauvés, il est vrai, par l’armée polonaise.

De l’Autriche, Szeemann, dont le grand-père a servi dans l’armée des Habsbourg, ne montre qu’un objet. Mais quel objet ! Le carrosse funéraire qui vint chercher à la Gare du Sud le prince héritier Louis-Ferdinand – assassiné quelques jours auparavant à Sarajevo par un nationaliste serbe - pour l’amener en procession à travers la ville vers le caveau de ses ancêtres. Pour le reste, le choix est très riche, varié, excitant. Dans de grandes salles éclairées par la lumière du jour, d’immenses bustes de Tito et autres héros socialistes s’alignent sagement sur des étagères, encore tremblants de l’histoire qu’ils viennent de vivre. Un peu plus loin, une banderole rose pend sur un mur : « AN ARTIST WHO CANNOT SPEAK ENGLISH IS NO ARTIST » (Mladen Stilinovic, Zagreb). Puis vient une machine à se branler (Lyuben Kostov, Bulgarie), un film vidéo de vieux paysans fumant des Marlboro (Jozsef Bartha, Roumainie), des photos terrifiantes d’une femme réduite à l’esclavage domestique (Alla Georgieva, Ukraine), une Volkswagen Coccinelle avec coffre à l’arrière et à l’avant (Antoni Maznevski , Macédoine)… « Les artistes d’Europe de l’ouest n’ont plus rien d’intéressant à montrer ! », soutient le « vieux » Szeemann (73 ans, dont un demi siècle à parcourir le monde de l’art), dont la foi actuelle est placardée en guise de sous-titre à son exposition : « L’avenir est dans les Balkans ».


 Pierre Daum
25.06.2003