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Expositions

Photojournalisme : un autre regard est possible

Le festival Visa pour l'Image, qui fête sa quinzième édition, lutte à sa façon contre l'information-spectacle.


« … les réfugiés restent assis,
abasourdis, dans des camps
de transit… même longtemps
après avoir pris de telles photos,
leur regard me hantait toujours…»
© Kishor Parekh
PERPIGNAN. «Tant de clichés et si peu d'images» : cette formule sévère pour résumer les dérives actuelles du photojournalisme est d'Edgar Roskis, fin analyste de la matière sur le Monde diplomatique, jusqu'à son décès en juin 2003. Formule sévère mais juste, et que n'a fait que confirmer la récente guerre en Irak, avec son lot de journalistes «embedded» (incorporés) aux régiments de l'armée américaine, dont les objectifs étaient forcés de suivre la marche des chars… Année après année, le festival de Perpignan essaie de montrer qu'un regard personnel du reporter-photographe est encore possible, malgré les lois de plus en plus contraignantes sur le droit à l'image, malgré le désir forcené des médias de «peopliser» l'information, d'en faire un ersatz de Loft Story ou de l'Ile de la Tentation.


Juillet 2002. Cimetière de Manille Nord.
L’après-midi, par un temps caniculaire au
Cimetière de Manille Nord, les caveaux
offrent un maximum de fraîcheur. Un vieillard
fait la sieste pendant que sa femme converse
avec une amie.
© Massimo Sciacca / Contrasto / Rea
Habiter au cimetière
Mort et violence constituent évidemment une part significative de la trentaine d'expositions gratuites - on ne parle jamais des trains à l'heure. Mais elles ont le mérite de faire revivre des conflits oubliés - comme la guerre interminable des Hmong du Laos, qui furent alliés des Américains, transcrite par Philip Blenkinsop. La violence peut bien sûr s'exprimer sans cadavres - voir le sujet de Jean-Gabriel Barthélemy sur les maisons d'arrêt de Toulouse. Elle peut consister en la toute-puissance économique d'une partie du monde, qui réduit l'autre à une existence à risque - que l'on pense aux pêcheurs du Colorado, au Mexique, menacés par l'urbanisation (John Trotter), aux habitants de Bhopal, en Inde, contraints d'inhaler un nuage toxique (Raghu Rai), ou aux pauvres de Manille, qui n'ont d'autre ressource que de résider, de plus en plus nombreux, parmi les morts, au cimetière (Massimo Sciacca)…

Le syndrome Greg le Millionnaire
Le responsable du festival, Jean-François Leroy, porte un regard sans aménité sur les médias. Contaminés par la télé-réalité, par le besoin de starisation, ils continuent d'avoir une hiérarchie de l'information viciée. «Il faut parfois attendre vingt minutes de journal télévisé, apprendre les déboires de Greg le Millionnaire, ancien taulard, et voir le premier entraînement de Beckham, pour enfin entendre parler de ce qui se passe en Israël.» Mais il reste optimiste. L'an dernier, près de 180 000 personnes ont fréquenté les expositions ; depuis les débuts du festival, en 1989, le chiffre dépasse le million de visiteurs. La preuve que le public est demandeur d'autres formes de reportages, d'autres façons de «montrer le monde».


 Rafael Pic
08.09.2003