L'Amérique à angle droit

L'objet impressionne au premier abord par ses dimensions : trois volumes, 12 kg, des centaines d'illustrations en couleur. Il est le fruit des nombreuses années d'étude de Claudine Humblet, déjà connue comme spécialiste du Bauhaus. Plus que d'une histoire raisonnée, cette Nouvelle Abstraction américaine se présente comme une succession de coups de cœur ordonnés par écoles ou par courants. Nonobstant l'épaisseur des tomes, l'auteur n'a pas une ambition d'exhaustivité. Elle a choisi 49 artistes, dont elle retrace le parcours, entre la fin de l'expressionnisme abstrait de Pollock et la naissance de l'art minimal. Il s'agit essentiellement de peintres, auxquels s'ajoutent quelques sculpteurs.

Kelly et ses monochromes
Si l'on peut discuter l'approche scientifique de l'ouvrage, qui met forcément sur la touche des acteurs importants et qui n'explicite pas clairement la césure de 1970, on doit reconnaître à Claudine Humblet une conscience rare dans l'étude de chaque artiste. Elle s'est attachée à rencontrer tous ceux qui étaient encore en vie, ce qui lui a parfois demandé des années de filature. Les propos recueillis ne manquent pas de saveur. Lorsqu'elle met en doute l'appellation de « monochrome » pour les œuvres d'Ellsworth Kelly, ce dernier se montre intraitable. Lorsqu'elle rencontre Robert Grosvenor, celui-ci, en préambule, lui dit ne pas comprendre le sens de ses propres sculptures.

Entre cercles et lignes
Après avoir analysé l'influence des «pères fondateurs» que sont Rothko, Newman et Gottlieb, l'auteur montre le développement de ces formes géométriques simples, carré, cercle (chez Noland notamment), cube (Richard Smith), bande horizontale (Agnes Martin) ou disque (chez Robert Irwin). Ces structures sévères sont mises en poésie par l'usage de la couleur, qui passe par l'application «plein champ», par la redécouverte de l'émail (chez Robert Ryman) ou l'invention de techniques de coulées de peinture (mélange de résine acrylique et de térébenthine chez Morris Louis). Certains mouvements mal connus en France bénéficient de développements importants, comme l'art structuriste californien (DeLap et McCracken) ou l'originale coopérative de Park Place, dont seul le meneur - Mark di Suvero - a connu une belle carrière européenne.