Accueil > Le Quotidien des Arts > Vuillard, notre Vermeer à nous

Expositions

Vuillard, notre Vermeer à nous

On l'attendait depuis 1938 : une grande rétrospective parisienne est enfin consacrée au peintre des «gens chez eux».


Personnages dans un intérieur
L'intimité, 1896, peinture à la
colle sur toile 212,5 x 77 cm,
signé et daté b.g., Paris Musée
du Petit Palais
PARIS. Que connaissons-nous de Vuillard ? Des images d'un bonheur simple, d'enfants dans des jardins publics, de femmes aux robes chamarrées, d'intérieurs paisibles. Ce Vuillard éclatant, c'est celui des jeunes années, celui qui s'inscrit dans la filiation du maître Gauguin. En 1889, il s'intègre au groupe des nabis - composé entre autres de Sérusier et Maurice Denis - et s'attache à en appliquer les axiomes. N'utiliser que des couleurs pures, non mélangées de blanc, «cloisonner» sa composition à l'image des Orientaux, rechercher à tout coût le symbole… Il le fait avec une humanité qui surpasse celle de ses acolytes, Bonnard excepté. Des scènes les plus banales - des modistes au travail, un enfant dormant - il fait des résumés fulgurants, avec une extrême économie de lignes. Les premières salles montrent, sur des cimaises aux couleurs saturées, la maturité d'un artiste de vingt ans, qui ose des angles saisissants, avec des vues de dos, des personnages coupés - comme ce père tenant par la main sa fillette au châle orange, dont il ne reste qu'un corps étêté, massif comme un tronc.


Le docteur Louis Viau, 1936-37,
peinture à la colle sur toile,
88 x81 cm, signé et daté b.d,
Paris Musée d'Orsay, en
dépôt au Musée du Prieuré,
Saint-Germain-en-Laye
Scènes de la vie mondaine
Ce Vuillard que la légende veut discret, peu entreprenant et presque asexué est tout de même, alors qu'il n'a pas vingt-cinq ans, le cofondateur avec Lugné-Poe, d'un théâtre d'avant-garde, celui de l'Œuvre, pour lequel il va créer les scénographies des pièces d'Ibsen, d’Henry de Régnier ou de Maeterlinck et qui lui donnera le goût de la peinture à la colle, essentielle pour ses futures commandes de grands panneaux. Vuillard passe une bonne partie de son temps à dessiner comme le prouvent quelques-uns de ses agendas, couverts d’esquisses au fusain ou au crayon. Le 11 juillet 1896, c’est Misia assise à sa table. Misia ? Ce sera l’une de ses muses et l’objet d’un amour jamais concrétisé, que résume à merveille une sensuelle Nuque de Misia. Epouse de Thadée Natanson, l’un des animateurs de la Revue blanche, elle est au cœur d'un cercle bohème, où Vuillard rencontre des banquiers, des industriels ou Mallarmé. Il ne quittera jamais le beau monde, ces salons bien meublés, ces villas huppées de la côte normande ou de la vallée de Chevreuse, où l’invitent ses marchands et amis, les Bernheim, les Hessel, ou son beau-frère Kerr Roussel. Il n’a d’ailleurs guère envie de voir ailleurs. Fils d’une couturière qui travaillait à la maison, il a la fibre du logis. Comme les grands Hollandais du XVIIe siècle, il remet sans cesse sur le métier le même thème, dessinant avec amour des motifs de papiers peints, de tapis, de robes qui s’enchevêtrent en un inépuisable patchwork de coloris et de formes.

Les Jardins publics, un siècle plus tard
Dans la rotonde de l’escalier, un plan de Paris montre les foyers principaux de l’activité de Vuillard. Cela a son importance tant sa vie créative se passe entre quatre murs. A l’étage, la réunion, dans une salle entière, des panneaux sur Les Jardins publics est un événement : ils n’avaient pas été vus en public depuis l’exposition chez Bernheim Jeune en 1906 et ont été définitivement démembrés lors de la vente en 1929 de la collection d’Alexandre Natanson. Suivent les années les moins appréciées de Vuillard, celles du XXe siècle, dont le tournant est la mort de sa mère adorée, en 1928. Ce sont là des portraits mondains : Jeanne Lanvin, Sacha Guitry ou son père Lucien, Anna de Noailles dans son lit, le constructeur automobile Lucien Rosengart. Alors que Gauguin abhorrait la modernité, Vuillard en est un chroniqueur attentif. Dès 1897, il possède un appareil Kodak avec lequel il photographie ses proches. Sur ses toiles, il fait figurer tous les symboles d’un temps nouveau : le téléphone chez les Kapferer ou les spots électriques pour illuminer la galerie Bernheim. Et l’un de ses tableaux les plus surprenants est Les Chirurgiens, sur lequel il va travailler épisodiquement de 1912 à 1937. Moins séduisant que celui de l’époque nabie, le Vuillard de l'âge mûr a su rester avant-gardiste à sa manière.


 Rafael Pic
25.09.2003