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Expositions

Barbier-Mueller : «Il faut rêver les objets avant de les collectionner»

Une exposition en forme de coups de cœur dévoile les ressorts de la passion chez un grand amateur d'art.


Statuette dite "Idole à lunettes",
H. 29,5 cm fin du IVe millénaire
av. J.-C., calcaire cryptocristallin,
art sumérien, région du Haut
Tigre, nord de la Mésopotamie,
Musée Barbier-Mueller, photo
Ferrazzini-Bouchet.
PARIS. A quoi servent les journalistes ? A rendre compte, à critiquer et, parfois, à motiver une exposition. C'est ici le cas : la présentation par Jean-Paul Barbier-Mueller d'une partie de ses trésors lui a été suggérée par les questions insistantes de notre confrère Bérénice Geoffroy-Schneiter, qui voulait en savoir plus sur les choix qui président à la constitution d'un fonds : pourquoi telle pièce ? pourquoi pas telle autre ? Pour y répondre, le collectionneur a réuni une sélection d'objets plastiques qui couvre sept millénaires. Il s'est attaché à raconter la «petite histoire» de chacun d'entre eux, à effectuer des rapprochements par-delà les civilisations, par-delà les époques. Sous les lambris dorés de l'hôtel particulier, le visiteur n'est pas étourdi : seulement soixante-dix pièces, sur fond gris, avec un éclairage théâtral et des cartels complets.


Figurine de "déesse mère",
H. 8,9 cm, milieu du IIIe
millénaire av. J.-C, chlorite
grise (corps), marbre blanc
(tête) et lapis-lazuli (coiffe).
Art dit de Bactriane ou
transélamite, région orientale
de l'Iran, Afghanistan, Musée
Barbier-Mueller, photo
Ferrazzini-Bouchet.
Rêver avant toute chose
Un collectionneur doit savoir patienter, l'objet qu'il a rêvé finira par lui apparaître, peut-être des décennies plus tard : cette révélation, Barbier-Mueller la doit au célèbre expert d'art primitif Charles Ratton et toute l'exposition tend à montrer la validité de cet axiome. Ainsi cette étrange Idole à lunettes dans la première salle, d'origine sumérienne : elle a été achetée en 2002 à l'antiquaire Bernard Blondeel. Depuis qu'il s'était fiancé en 1952 à la fille du collectionneur Josef Mueller, Jean-Paul Barbier-Mueller avait subi la fascination de ces créations où le regard est magnifié. Il en possédait une, modeste, de 7 centimètres de haut. Ces «idoles à yeux» sont rarissimes et de grands musées, comme le Louvre, en sont dépourvus. L'occasion d'ajouter à sa collection la plus grande jamais trouvée, et l'une des mieux conservées, est une vérification éclatante du «théorème de Ratton».

Le prix d'un dîner au restaurant
Il faut souvent débourser une belle somme pour s'approprier ces trophées, comme le superbe réceptacle en bronze (Bornéo) qui fait la couverture du catalogue ou ce masque baoulé provenant de la collection Goldet. Mais pas toujours. «Certains des objets ici rassemblés ne valent pas plus cher qu'inviter au restaurant un couple de vos amis» soutient Jean-Paul Barbier-Mueller, tout en rappelant qu'il s'agit pour l'essentiel d'acquisitions des trois ou quatre dernières années. Un vrai collectionneur ne cherche pas à afficher une somme à plusieurs zéros au mur» poursuit-il en commentant un cimier de danse nigérian de la Cross River à la coiffure extravagante. L'ayant «raté» chez un premier marchand, Barbier-Mueller la revit quelques années plus tard chez un autre où il put l'acquérir à un prix inférieur…


 Rafael Pic
30.09.2003