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Expositions

Largillierre peint le Grand Siècle

Le Musée Jacquemart-André rend hommage à l'un des plus talentueux et polyvalents peintres de l'époque de Louis XIV.


Etudes de mains, vers 1710
Pierre noire, sanguine et rehauts
de blanc, 27 x 41 cm
Angleterre, collection particulière
© Christie’s
PARIS. Largillière ou Largillierre ? La seconde orthographe, la bonne, a été retenue par les commissaires, Dominique Brême et Nicolas Sainte-Fare Garnot. Mais elle en étonnera certains, habitués à la transcription fautive bien que plus répandue de Largillière. Ce débat ne troublera pas le grand public pour la simple raison que l'artiste ne bénéficie, deux siècles et demi après sa mort, que d'une médiocre notoriété. Ce qui est fort dommage. On ne se souvient généralement, dans son œuvre, que de la belle Strasbourgeoise, avec son chapeau fin et démesuré, comme un tricorne anamorphosé de garde civil espagnol. Nicolas de Largillierre (1656-1746) mérite mieux. Dezallier d'Argenville notait avec raison, dans son Abrégé de la vie des plus fameux peintres que «le génie de cet homme rare s'étendait à tout». En quelques salles, une soixantaine d'œuvres venues de France, d'Angleterre (Institut Courtauld), du Portugal (Fondation Gulbenkian) ou des Etats-Unis (Getty Museum), dont une dizaine de dessins, montrent l'étendue de son talent, qui s'accomode aussi bien des portraits que des paysages, des natures mortes que des scènes historiques.


Deux grappes de raisin, 1677
H/t, 25 x 34 cm, Paris, Institut
néerlandais, collection Frits
Lugt (inv. 6060)
© Institut néerlandais, Paris
Jeux de mains
En ce siècle si cosmopolite, Largillierre est au croisement de toutes les influences. Formé à Anvers, où on le spécialise dans les fleurs et les poissons, il retient de la peinture flamande son sens de la gouaille, sa capacité à rendre l'agitation de la foule ou à construire un paysage que les arbres aux poses «pittoresques» rendent aussi animé qu'un champ de bataille. Il copie dans les écoles espagnole et bolonaise ces physionomies théâtrales - parfois trop maniérées - de saints et de martyrs, comme cet apôtre ou saint Barthélemy. On retrouve dans ses groupes d'hommes en pied, endossant tous les attributs de leur fonction - voir le Portrait d'un jeune prince et de son précepteur - un écho des grands portraitistes anglais comme Gainsborough. Et le jeu des regards, des mains, des doigts pointés vers un objet ou un tableau donnent une profondeur qui n'est pas sans rappeler Vélasquez. Largillierre semble d'ailleurs obsédé par le dessin des extrémités. Ses Mains de 1714 sont un curieux florilège composé à sa propre intention, pour se souvenir de morceaux de bravoure. Largillierre plaît à tout le monde : à la cour, aux particuliers ou aux échevins de Paris, qui lui passent commande. Il lui reste même du temps pour décorer son appartement, où se presse la belle société. La grande composition de l'entrée, un trompe-l'œil avec des rideaux cramoisis, qui était accroché sur ses murs, donne une idée du luxe qui régnait chez lui. L'hôtel particulier du couple André, avec ses dorures et ses parquets qui craquent, est un lieu idéal pour redécouvrir Largillierre…


 Rafael Pic
15.10.2003