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Musées

Le Louvre fait sa révolution financière

Inspiré par le modèle anglo-saxon, le musée souhaite augmenter de façon significative la part de ses ressources propres.


Pyramide du Louvre, architecte :
I. M. Pei,
© C.Moutarde
PARIS. Avec des tensions certaines - on se rappelle du vif échange, il y a deux ans, entre Henri Loyrette, le président-directeur de l'établissement, et Catherine Tasca - le Louvre acquiert une autonomie grandissante. Il gère maintenant son personnel sans avoir à passer par le ministère de la Culture. Et il est en passe de dénouer ses liens avec la Réunion des musées nationaux, ébranlant du même coup le système mutualiste imaginé dans l'immédiat après-guerre. Cette indépendance a un coût. Le musée s'est engagé, par un contrat d'objectifs et de moyens, signé le 17 avril 2003 avec les ministres de la Culture et du Budget, à développer ses ressources propres. «Ce contrat porte sur une période de trois ans, de 2003 à 2005, explique Aline Sylla, directrice du développement culturel. Il ne remet bien sûr pas en cause le principe de l'annualité budgétaire. Il s'agit de créer une logique de centre de responsabilité pour développer un cercle vertueux.» Un sous-entendu transparent, qui suppose la fin des achats précipités de moquette en novembre : pour être certains d'avoir une dotation au moins équivalente l'année suivante, les services se sentaient jusqu'alors obligés de consommer tous leurs crédits…

Un tiers d'autofinancement
Le budget de fonctionnement du Louvre était de 115,5 millions d'euros en 2002, il sera de 130 millions d'euros à l'horizon 2005. L'Etat accroît ses subventions de 6,5 millions d'euros, à 87 millions d'euros. Mais le musée lui-même doit faire mieux : augmenter de 8 millions d'euros ses ressources propres sur la même période, jusqu'à 43 millions d'euros. De quoi arriver au seuil fatidique de 33% d'autofinancement contre moins de 30% aujourd'hui… Comment s'y prendre ? Les gestionnaires du Louvre entendent tirer de nouveaux revenus de la fréquentation. «La pyramide a été victime de son succès, explique Aline Sylla. Conçue pour 4,5 millions de visiteurs annuels, elle en a reçu jusqu'à 6 millions en 2000. L'un de nos objectifs est donc d'améliorer la fluidité : nous avons pour cela installé des billetteries automatiques. Par ailleurs, nous nous attachons à diminuer le nombre de salles fermées. Nous sommes déjà passés d'un ratio d'ouverture de 75% en 2002 à 85% à la fin 2003.» On voit mal, cependant, comment de nouvelles recettes significatives pourront être dégagées de ce côté, à moins d'une nouvelle hausse du nombre de visiteurs, peu probable à court terme (-5% de fréquentation au 1er semestre 2003). D'autant que la pyramide des âges tend à s'abaisser : les moins de 26 ans sont passés de 42% du total en 2002 à 52% en 2003. Un bon résultat pour se gagner un public d'avenir mais qui pèse forcément sur les comptes, les jeunes bénéficiant de tarifs préférentiels.

La Cour carrée pour Carrefour
On peut donc prévoir, pour tenir l'objectif budgétaire, des discussions serrées avec les concessionnaires (librairie, restaurants) pour augmenter leurs redevances et une multiplication des mises à disposition d'espaces pour des réceptions privées. Le banquet Carrefour de mars 2003, dans une Cour carrée aux couleurs de la multinationale, en a fait tiquer certains, notamment au Conseil de Paris. «Une soixantaine de manifestations ont lieu chaque année. Si vous enlevez les jours de nocturnes - lundi et mercredi - et les vendredi, samedi et dimanche, peu séduisants pour les clients potentiels, il ne reste en fait que le mardi ou le jeudi. Quant au fameux dîner Carrefour, tempère Aline Sylla, c'est une opération très lourde, qui ne peut guère se répéter qu'une fois tous les deux ans.»


La galerie d'Apollon
en restauration
,
© M. Lombard
Mécène vous aussi ?
Dans le domaine du mécénat, qui n'entre pas dans le budget de fonctionnement mais dans les «grands projets muséographiques», l'objectif est tout aussi ambitieux. La direction a promis de passer de 10,7 millions d'euros de recettes sur la période 2000-2002 à 20 millions d'euros sur 2003-2005. Soit un doublement. Une quarantaine de conventions ont déjà été signées. Certaines opérations portent sur des millions d'euros comme la restauration de la Salle des Etats (par la télévision japonaise NTV) ou de la galerie d'Apollon (par Total). «Mais c'est une erreur de croire qu'il faut apporter des millions pour être mécène du Louvre, explique Aline Sylla. Tous les montants sont possibles. A titre d'exemple, un de nos mécènes réguliers est la Banque Hervet qui apporte chaque années quelques dizaines de milliers d'euros pour la restauration d'œuvres.» Autre exemple, le site internet : il bénéficie de financements du Crédit Lyonnais mais aussi d'apports de compétence ou d'une plate-forme technique par Blue Martini et Accenture.

L'appel de l'étranger
Les Etats-Unis et le Japon fournissent à eux seuls le tiers des visiteurs (respectivement 1 million et 600 000 personnes). Il était donc naturel de s'y installer. Deux fondations ont été créées, en septembre 2001 au Japon, en septembre 2002 aux Etats-Unis (cette dernière, sous la présidence de Christopher Forbes, le patron de la revue Fortune, recrute actuellement son directeur). Il s'agit de petites structures, qui ont à la fois mission de lever des fonds et développer la collaboration culturelle. A titre d'exemple, la présence au Japon a permis de faire venir à Paris les 1800 meilleures vendeuses de Miki Prune, le Tupperware nippon, pour un voyage «incentive» en août 2003. Et les autres pays, comme la Russie ou l'Extrême-Orient ? Le Louvre maintient une attitude prudente face à des financements potentiels dont les origines pourraient ne pas être claires. Une première ouverture, cependant : une visite préparatoire de Henri Loyrette est programmée à Taïwan et à Shanghai en 2004.


 Rafael Pic
03.11.2003