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Les primitifs flamands à la loupe

Le grand classique d'Erwin Panofsky est réédité en version économique. Les non-initiés pourront aussi y trouver leur bonheur.

Plus de 650 pages de texte aux illustrations sévères, 115 pages de notes en graphie serrée, quelque 500 références bibliographiques : Les Primitifs flamands d'Erwin Panofsky (1892-1968), publié il y a exactement un demi-siècle, est à juste titre un classique d'érudition, que l'on aborde avec une pointe d'appréhension. On est donc étonné, en se plongeant dans cet énorme pavé, malcommode à manœuvrer, de se sentir happé par un récit fluide et bien plus accessible qu'on ne l'imagine. Certes, Panofsky nous emmène sur des chemins ardus. Il étudie inlassablement chaque élément d'iconographie, vérifiant si les aiguières en cuivre sont bouchées, si le dessin des volets présente des défauts de coaxialité, si la perspective est la version archaïque, à double point de fuite. Il n'hésite pas à appeler la théologie à la rescousse ou replace dans le contexte de l'époque la découverte du calcul infinitésimal.

Van Eyck agent secret ?
Mais il est toujours ordonné et pose solidement les fondations avant de lancer les flèches de son analyse. Avant d'étudier les Epoux Arnolfini ou le portrait à la pointe d'argent du cardinal Niccolò Albergati, on apprend que Jan van Eyck vit dans une demeure «à façade de pierre», qu'il est le premier peintre flamand à signer ses œuvres, qu'il a effectué des missions d'agent secret pour le duc de Bourgogne, qu'il n'éprouve aucune fausse honte à dorer les statues de l'hôtel de ville de Bruges. L'inventeur de la peinture à l'huile (une thèse désormais «insoutenable») nous devient presque familier et se mue définitivement en personnage de roman lorsque Panofsky pose la question cruciale : était-il un fou d'alchimie ? L'auteur ne conclut pas mais définit joliment, au passage, la fascination que suscite Jan van Eyck : c'est une «hypnose» d'un effet semblable à la «contemplation des pierres précieuses ou de l'eau profonde». On le trouve aussi vibrant pour van der Weyden : «Aucun de ceux qui sont allée à Beaune ou Philadelphie n'oubliera jamais les modulations en bleu du Jugement dernier ou la polyphonie de lilas rosé, de gris-bleu pâle, de vermillon ardent, de gris terne et d'or du Calvaire.» Ailleurs, il compare la construction d'une scène picturale à celle d'un sonnet de Shakespeare. Panofsky sait, comme on dit, «élargir» son discours. Pour notre plus grand plaisir.


 Pierre de Sélène
11.12.2003