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1969, année de l'Atelier A

Trois décennies après son sabordage, le rapprochement tenté par François Arnal entre art et design suscite un regain d'intérêt.

A comme Arnal, évidemment. L'artiste-peintre est à l'origine de cette initiative en forme de phalanstère qui, de 1969 à 1975, produisit des centaines d'objets avant que le second choc pétrolier ne la condamne irrémédiablement. L'Atelier A veut «donner une chance à ces créateurs, leur fournir l'occasion de produire des prototypes de formes, de participer à des programmes d'esthétique industrielle ou de décoration, d'élaborer des spectacles ou des environnements visuels» écrivait Pierre Restany dans le manifeste publié en 1970. Le projet était organisé et ambitieux. Il disposait d'un superbe espace de 750 m2, rue Amelot, dans le quartier de la Bastille, dont le fonctionnement, toujours selon Restany (dans un article de 1972 sur la revue milanaise Domus), s'apparentait à celui d'un loft new-yorkais. Et l'Atelier A entendait aller jusqu'au bout du processus d'édition des meubles et autres objets. «Les études proposées font l'objet à l'Atelier A d'une étude préliminaire de mise au point sanctionnée par le dépôt d'un brevet au nom de l'inventeur. L'Atelier A se charge par la suite et selon les cas, de l'édition, de la production ou de la réalisation du projet breveté.» concluait le manifeste.

Fêtes, mousse et plastique
L'ouvrage retrace cette aventure. Y figurent d'intéressantes photos d'époque du «show-room» de la rue Amelot, très bien légendées, où l'on retrouve le fauteuil-dent de Jean-Marie et Marthe Simonnet, le fauteuil tambour d'Arman ou les tables émaillées de Mark Brusse. La parole est ensuite donnée aux protagonistes, qui font revivre, un quart de siècle plus tard, une époque bénie faite de création, de fêtes folles, d'utopies, où se mêlaient, dans un cocktail manquant parfois de cohérence mais toujours généreux, critique de la société de consommation et expérimentation de nouveaux matériaux - plastiques, polystyrène, mousses ou polymétacrylate de méthyle. A côté d'artistes, de designers, figurent des compagnons de route comme le journaliste Gilles de Bure, auteur d'une lampe néon en forme de dollar. Dans son témoignage, comme dans celui d'autres participants, on est frappé par l'osmose entre les différents milieux que l'Atelier A avait réussi à susciter, et qui rassemblait des personnalités aussi diverses que Clouzot, Micheline Presle, Marie-Laure de Noailles ou Andrée Putman.

Le tabac tue
La dernière partie est une sorte de catalogue raisonnée des créations de l'Atelier A qui eut les honneurs de la presse de décoration, d'émissions à la télévision (Dim Dam Dom de Daisy de Galard), ou de commandes du grand magasin new yorkais Bloomingdale's. On découvre avec amusement les nombreuses lampes néon (de la Bite d'Arnal à la Flamme de Bellegarde), les bureaux et plateaux repas thermoformés, le mobilier modulable, le berceau-fleur de Philippe Pradalié, la maison des quatre saisons présentée à la Foire de Paris en 1973. On regrette l'absence de notices biographiques détaillées. Que sont devenus tous ces acteurs, qui furent des dizaines et qui ne sont pas tous aussi connus que César ? Dommage également que le cendrier Cancer d'Arman n'ait pas été diffusé à grande échelle. Les compagnies de tabac auraient pu s'en servir de pièce à conviction dans les procès qui les opposent aujourd'hui aux fumeurs soi-disant ignares des dangers du tabac. Les artistes, qui ont parfois une longueur d'avance, savaient déjà…


 Pierre de Sélène
13.11.2003