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Expositions

Delft, capitale de l'Europe du bleu

Le panorama de la faïence européenne du XVIIe siècle, que dresse le musée de Sèvres, est dominé par les ateliers hollandais.


Boîte à thé, scène orientale
en camaïeu bleu, signée S.V.E.
Pays-Bas, faïence de Delft,
Manufacture de l'A Grec, entre
1678 et 1686. © RMN, SPADEM
et ADAGP
SEVRES. Heureusement que la canicule est passée ! On a beau être en novembre, sous les combles en forme de carène inversée du Musée national de céramique, on respirait mal en raison de l'affluence inattendue au vernissage. On a encore pu s'en convaincre au récent Salon du collectionneur : les arts du feu passionnent. La mise en scène, dans cette grande salle rectangulaire au plancher craquant, est simple mais agréable. Les objets sont installés dans de grandes caisses en bois, qui font immédiatement rêver au grand commerce transocéanique, aux trafics des diverses compagnies des Indes. Ce qui est effecitvement très approprié tant les influences entre les divers centres - la Chine, la Hollande, l'Italie, la France avec Nevers ou Rouen - ont été importantes, en forme de mondialisation avant l'heure. On regrettera, en revanche, qu'il soit si difficile d'affecter à chaque pièce le cartel qui lui correspond. C'est là une excellente initiative s'il s'agit de développer nos talents de déduction - on arrive tant bien que mal à distinguer une aiguière à pans coupés d'un vase à deux anses - mais qui s'avère usante à la longue. D'autant que le propos est complexe et qu'il faut savoir s'imprégner de concepts parfois ardus - décors a istoriato et a compendiato, émail stannifère, grand feu et petit feu - pour progresser dans la compréhension du sujet.


Vase couvert à fond bleu, décor
façon Savone en blanc, France
faënce de Nevers vers 1660-1670
Origine : Bagdad
La faïence est née de l'obsession des Européens à égaler la porcelaine chinoise. En attendant d'y parvenir à Meissen au début du XVIIIe siècle, on s'en approche au plus près vers 1620, à Delft et à Haarlem. On allège la pâte grâce à des terres plus fines, comme celle de Bruxelles, que l'on laisse «pourrir» plusieurs mois. Et l'on revêt la céramique d'une substance vitreuse, l'émail stannifère - ce que les Bagdadis savaient faire depuis le IXe siècle -, qui lui donne en partie l'aspect translucide de la porcelaine. Les vitrines présentent, dans un ordre qui n'est pas toujours évident, des créations de tout le continent, de l'Espagne à la Suisse, de l'Allemagne à l'Angleterre. Parmi les ateliers delftois qui porteront à leur perfection l'usage du bleu de cobalt figurent celui dit de «l'A grec», dirigé par les Hoppensteyn. Dès l'entrée, les deux immenses tulipières de la reine d'Angleterre, avec ornements d'architecture, prouvent son savoir-faire. Mais on sait traiter le bleu ailleurs, à Nevers par exemple, où il atteint une densité particulière - voir ce vase «à jetés de fleurs orientales» - ou à Albisola, en Ligurie.

Le gris et l'or
Si le bleu domine, il n'est pas la seule couleur : outre, évidemment, le fond blanc, qui connaît des fortunes changeantes, on trouve du brun (tiré du manganèse), du vert (tiré du cuivre), du jaune (tiré de l'antimoine) ou du rouge (provenant de terres ferrugineuses). Les manufactures de Pavie créent un gris très original, dont on commence à mesurer la valeur. Et lorsque aura été mise au point la cuisson au petit feu (750°C au lieu de 900°C), on pourra même réaliser des inclusions d'or sans calciner le précieux matériau. Dans cette catégorie, les plats produits à Castelli d'Abruzzo, avec leurs grands personnages comme Darius, Alexandre et Scipion, sont les plus spectaculaires. On peut tout aussi bien laisser de côté les arguments techniques et voir dans ces vitrines un résumé d'histoire de l'art sur un siècle, que l'on dit Grand mais que l'on a tendance à négliger. En quelques décennies, la céramique du XVIIe siècle embrasse l'abstraction (les décors tirés de la tradition islamique), les volutes baroques, les scènes d'histoire, en y ajoutant un grand souffle venu de la nature, avec les premières représentations de fleurs.


 Pierre de Sélène
20.11.2003