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Expositions

Canova sculpte plus blanc

Une imposante exposition de plus de quatre cents œuvres célèbre, chez lui, l'artiste néo-classique par excellence.


Madeleine pénitente, 1805-1809,
marbre. Musée de l'Ermitage,
Saint-Pétersbourg
BASSANO et POSSAGNO (Vénétie). La favori des cours européennes, l'artiste des Bonaparte - il fit un bronze de l'Empereur en colosse antique si ridiculement colossal que ce dernier en fut lui-même honteux - s'expose chez lui. Chez lui, c'est-à-dire dans l'arrière-pays de Venise, au pays des asperges blanches, à Bassano et à Possagno, non loin des lignes de front si sanglantes de la Première Guerre mondiale. A Possagno, où il naquit en 1757 et où il revint mourir en 1822, Canova est honoré par une Gipsoteca (une «plâtrothèque»). «Ce n'est pas la première rétrospective Canova, tient à préciser Antonio Guderzo, l'un des trois commissaires. Celle de 1992, à Venise, a été très importante. Mais celle-ci se veut totale. Elle donne à voir les importants fonds locaux de Bassano et de la Gipsoteca de Possagno, notamment des pièces sorties des réserves, donc jamais vues. Et plus d'une centaine d'œuvres, sur les quelque cinq cents que nous montrons, proviennent d'autres institutions.» L'Ermitage, le plus riche en ce domaine, a notamment prêté sept marbres, dont la Madeleine pénitente et un l'Amour ailé. Il a exclu de cette délégation les célébrissimes Trois Grâces, commandées par Joséphine de Beauharnais. «L'Orphée, une œuvre de jeunesse, est déjà assuré pour 18 millions d'euros, précise Antonio Guderzo. Cela vous laisse imaginer la valeur des Trois Grâces. On peut, au minimum, doubler l'évaluation.»


Nu viril de profil dans l'attitude du
Gladiateur Borghese
, crayon, plume
et encre brune, papier ivoire.
Bassano del Grappa, Museo Civico
Trois Grâces bis
On se consolera en contemplant une étude préparatoire. Elle n'a pas le fini lisse et, quoi qu'on en dise, glaçant, des œuvre trop peaufinées de Canova qui gagnent à être vues dans une lumière oblique, qui en estompe les formes. Elle possède au contraire, le dynamisme, la vivacité, autant de qualités associées au travail de l'esquisse mais que l'on attribue rarement au sculpteur. Cette pièce surprenante a réapparu en vente publique à Florence, en début d'année. Malgré l'intérêt de plusieurs collectionneurs, notamment de Paolo Fresco, alors grand patron de Fiat, c'est la commune de Bassano qui réussit alors à s'en emparer pour 400 000 euros. L'interdiction de sortie du territoire édictée par le ministère de la Culture a contenu à la baisse un prix qui aurait pu atteindre d'autres sommets. A la compagnie des trente marbres, bien connus même s'ils n'ont pas pu être réunis depuis fort longtemps - comme la Paix venue de Kiev, la Vénus de Leeds ou la Nymphe endormie du Victoria & Albert Museum, on pourra préférer le supplément d'âme des plâtres ou des terres cuites comme ce buste de Paolo Renier, l'avant-dernier doge de Venise, que Canova, à peine sorti de l'adolescence, modela en 1776.


Danseuse avec cymbales,
(détail), 1812, plâtre,
Possagno, Gipsoteca.
La surprise vient des dessins
Ou encore, véritable redécouverte, ces dessins, précis, où les hommes, avec leurs paquets de muscles, ressemblent à des écorchés. Curieusement, pour un créateur aussi «attendu», aussi «prévisible» que Canova, on leur trouve une frappante analogie avec le monde des rêves de William Blake. «Canova a eu une importante activité de dessinateur, conclut Antonio Guderzo. Ces dessins peuvent être classés en trois catégories. Il y a les dessins d'invention pure, les académies et les copies. Le Musée de Bassano en conserve deux mille. Nous en avons sélectionné près de deux cents.» On ne sera pas aussi tendre avec sa production picturale, réunie dans son intégralité. Des figures qui semblent anémiées, barbouillées de coloris lourds comme un fond de teint appliqué en multiples couches. La vraie couleur, la seule couleur de Canova, c'est le blanc…


 Carlo Farini
24.11.2003